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les traducteurs.

Le Contr’un, s’il n’est pas une traduction, est un écho : on y voit la passion antique de la liberté, l’esprit des démocraties grecques et de la république romaine, des tyrannicides et des rhéteurs, se mêler confusément dans une âme de jeune humaniste, la gonfler, et déborder en une âpre déclamation. Rien de plus innocent que ce pastiche, où toutes les lectures d’un écolier enthousiaste se reflètent : mais rien de plus grave en un sens. Calvin, pour détourner de son Église les rigueurs du pouvoir temporel, se fait conservateur en politique, prêche aux fidèles la soumission et la fidélité, même envers le roi qui les persécute : c’est de l’humanisme, des écoles, des âmes imprégnées de sentiments antiques, que part le premier cri républicain, la première déclaration de haine aux tyrans. On mesure dans cette déclaration la valeur des idées que lentement, sourdement, sur le regard indulgent des puissances séculière et religieuse, par les soins des plus inoffensifs régents, la culture classique fera couler pendant deux siècles au fond des âmes, y préparant la forme que les circonstances historiques appelleront au jour. La force de ce naïf Contr’un se révéla quand les protestants se soulevèrent contre la royauté qui opprimait leur foi : ils le recueillirent, et s’en firent une arme, comme d’un manifeste de révolte et de sédition.


2. AMYOT.


Amyot, [1] catholique sans fougue, helléniste délicat, qui vécut

    une manière de réplique au Prince, comme le suppose M. Barrére (Estienne de la Boëtie contre N. Machiavel, 1908). En tous cas, l’objet de La Boëtie est bien de montrer la limite que la nature assigne à la tyrannie : cette limite est celle de la patience des peuples. Il ne songe pas encore à chercher des garanties constitutionnelles, mais il voit bien qu’il n’y a pas de pouvoir qui n’ait en fait besoin du consentement des sujets (11e éd.).

  1. Biographie. Amyot, né à Melun en 1513, fils d’un boucher ou d’un mercier, étudia au collège du cardinal Lemoine, puis sous les lecteurs royaux Toussain et Danès. La reine de Navarre lui fit donner une chaire de latin et de grec à l’université de Bourges ; il l’occupa douze années. François Ier, qui le fit en 1546 abbé de Bellozane, lui commanda sa traduction de Plutarque. Il visite l’Italie, et s’arrête longtemps à Rome et à Venise, recherchant les manuscrits des auteurs grecs, et surtout de Plutarque. Après avoir rempli une courte mission au concile de Trente, il rentre en France. Il est nommé précepteur des fils de Henri II, grand aumônier à l’avènement de son élève Charles IX, évêque d’Auxerre en 1570. Après l’assassinat de Henri III, son diocèse fut fort troublé par les passions religieuses, et son clergé même se révolta contre lui : on l’accusait de trop de fidélité au roi. Il mourut en 1593.

    Éditions : Histoire êthiopique, Paris, 1547. Daphnis et Chloé, Paris, 1559 (sans nom de traducteur). Sept livres des histoires de Diodore Sicilien, Paris, 1554. Vies de Plutarque, 2 vol. in-fol., Paris, Vascosan, 1559 (1560) ; 3e édit., 8 vol. in-8, 1567 ; (édit, définitive), Paris, Morel, 1619. Œuvres morales de Plutarque, in-fol., Paris, Vascosan,