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jean calvin.

l’Histoire Universelle et dans la Politique tirée de l’Histoire sainte.

Mais si l’Institution sort de l’humanisme, elle opère définitivement la séparation des deux courants qui jusque-là s’étaient confondus, et se confondaient encore dans les deux premiers livres de Rabelais. Elle oppose fortement la Réforme aux libertins. Le point de contact entre eux n’est pas difficile à voir : c’est la commune protestation au nom de Dieu et de la raison qui le connaît, contre l’ascétisme catholique. «…Celui grand bon piteux Dieu, écrivait Rabelais, lequel ne créa onques le Caresme : oui bien les salades, harengs, merlans, carpes, brochets, dars, umbrines, ablettes, rippes, etc. Item les bons vins. » Et Calvin aussi ne veut pas des jeûnes, célibat monacal, et autres contraintes de la règle catholique : pour lui, comme pour Rabelais, tout cela, c’est Antiphysie. Dieu a créé les instincts et les fonctions pour l’usage : c’est égal abus de faire ce qu’il défend, et de défendre ce qu’il permet, de pervertir et d’abolir ses dons. Mais Calvin se différencie aussitôt. Et il se différencie par le sens moral. Rabelais absout la nature par la vie. Calvin la condamme par le mal. Pessimiste, parce que ce qu’il veut ne se retrouve guère dans ce qu’il voit, la foi lui rend compte de la corruption humaine et du remède : elle est lumière et règle.

En même temps, Calvin prend position contre le catholicisme : il en dissèque le dogme, il en ruine les pratiques et la discipline, il en combat surtout la doctrine de la pénitence. Il établit la justification par la foi seule, avec le serf-arbitre et la prédestination.

Contre les libertins et contre les catholiques, c’est la même cause que Calvin défend : celle de la morale. Et par là sa réforme est bien française : le principe et la fin en sont la pratique, l’ordonnance de la vie, et non la spéculation, la poursuite de je ne sais quels résultats métaphysiques. Ce qu’il veut, c’est la bonne vie. Aux libertins il dit : l’homme est mauvais ; il faut réprimer la nature, et non s’y abandonner. Aux catholiques : ne comptez pas sur les indulgences, ne comptez pas sur les pratiques et les œuvres, ne comptez pas sur votre volonté : humiliez-vous, tremblez, croyez. Il peut sembler qu’il y ait contradiction entre sa théologie et sa morale : n’est-ce pas la liberté qui fonde la bonne vie et rend la vertu possible ? Ceux qui liront Calvin verront qu’il a opéré heureusement le passage de son dogme à sa morale. Au reste c’est l’éternelle antinomie : l’exercice de la vertu suppose l’homme libre, et les doctrines qui marquent le plus haut degré de l’effort moral dans la vie de l’humanité, stoïcisme, calvinisme, jansénisme, sont celles qui théoriquement suppriment la liberté. C’est qu’en somme, elles détachent et humilient l’homme : or supprimer la concupiscence, tuer l’amour-propre, toute la vertu est là. Le calvi-