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renaissance et réforme avant 1535.

cœurs, ou renvoyé par des influences étrangères. Une fusion se fait de l’honneur chevaleresque et du désir de la gloire, mobile des individualités héroïques de l’antiquité et de l’Italie : et nous en trouvons le témoignage dans la charmante biographie de Bayard écrite par le Loyal Serviteur [1] : c’est comme un mélange de Chrétien de Troyes et de Plutarque.

On se reprit aux tournois, à l’amour courtois, aux vieux romans, à leurs transcriptions rajeunies, à leur plus ou moins authentique postérité. L’expression littéraire de cette mode fut la traduction d’Amadis de Gaule faite sur un original espagnol par d’Herberay des Essarts [2].Amadis ravit François Ier, le roi chevalier, et toute cette brave noblesse des guerres d’Italie, qui se reconnaissait bien lorsqu’elle lisait comment, les chefs discutant s’il fallait donner bataille à un ennemi supérieur en nombre, « Agraies donna des éperons à son cheval, criant à haute voix : Maudit soit qui plus tardera, voilà ceux contre qui il faut débattre, non pas entre nous ; et ce disant piqua droit aux ennemis ». Il y a dans Amadis une fantasmagorie d’héroïsme, des héros occis, des géants pourfendus, des chevaliers vaincus par deux et par trois à la fois, des hommes d’armes par huit ou dix, des soldats par milliers sur le champ de bataille, un seul preux, tantôt Amadis, et tantôt Galaor, ou un autre, pour toutes ces besognes : des enfants perdus et retrouvés, des époux ou des amants séparés, des amours foudroyants ou ineffablement profonds, des enchantements, des oracles, une géographie fabuleuse.

Mais à travers cette folie d’invention on rencontre sans cesse une ferme réalité : des amours « exécutés » tels qu’ils le peuvent être dans le train le plus commun du monde, et plus rapidement même, de positives conclusions qui suivent, et parfois précèdent les vaporeuses adorations, une franchise d’accent, presque une brusquerie délibérée d’humeur chez ces chimériques héros, qui leur donne un peu de consistance et l’air de la vie. Amadis est sanguin, ardent, colère, un vrai « gendarme » des guerres d’Italie ; Monluc l’avouerait, quand il retourne d’un coup de pied le lit où git un vieux coquin, en l’envoyant à tous les diables.

Ainsi s’explique qu’Amadis et son cycle aient éclipsé les preux demeurés Français de France, Lancelot, Tristan, Perceforêt, dont

  1. Éditions : Galiot du Pré, 1527 ; Soc. de l’Hist. de France, Paris, in-8, 1878.
  2. Éditions : Les livres I à XII d’Amadis, Paris, 1540-1556, 12 part. en 4 ou 6 vol., in-fol. Les huit premiers seuls (1540 – 1548) ont été traduits par d’Herberay des Essarts, ils comprennent : Amadis de Gaule (I-IV) ; Esplandian (V) ; Perion et Lisuard de Grèce (VI) ; Amadis de Grèce (VII et VIII). Parmi les autres éditions, l’éd. Imprimée par Plantin, Anvers, 1561. 6 vol. in-8. – À consulter : Bourcjez, les Mœurs polies et la Littérature de cour sous Henri II, Hachette, 1886.