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clément marot.

dans son œuvre que par des pièces biographiques et d’actualité : il subit la tristesse, la crainte ; il ne songe qu’à les évaporer au plus vite ; jamais il ne s’en fait une inspiration. L’indignation est la seule passion où il aille de lui-même chercher une source de poésie : c’est le sentiment le plus accessible à la mollesse épicurienne et à la sécheresse intellectuelle ; l’Enfer s’explique par la révolte d’une chair délicate, et d’un esprit juste, devant la souffrance physique injustement infligée.

Selon une excellente remarque de M. Brunetière, pour établir la valeur d’un poète, il suffit presque de l’interroger sur trois points : comment a-t-il parlé de la nature, de l’amour, de la mort ? Marot n’a guère parlé de la nature, sauf quelques jolies réminiscences de sa rustique enfance, de son Querey natal. Il crut de bonne foi qu’aimer, c’était jouir et dire d’agréables choses aux dames. Il n’a pensé à la mort que malgré lui, et pour préférer la vie. Il est tout à la vie, aux formes charmantes et superficielles de la vie. Il n’eût point si aisément réalisé l’idéal poétique d’une cour mondaine et galante, si déjà en lui-même il n’eût porté cet idéal. Demandez-lui son rêve de bonheur : il tient tout entier dans la Facile existence d’un château des bords de Loire.

…Sous bel ombre, en chambre et galeries
Nous pourmenans, livres et railleries.
Dames et bains, seraient les passe-temps,
Lieux et labeurs de nos esprits contents…
Le chien, l’oiseau, l’épinette et le livre,
Le deviser, l’amour (à un besoin),
Et le masquer, serait tout notre soing.

Rien de profond en lui, rien d’intime : mais de là même vient la perfection du type qu’il réalise. Tout en lui tend à la joie, et à la joie de sa compagnie, sans laquelle la sienne ne saurait subsister. Pour une telle nature, le plus insupportable mal, c’est la solitude, et l’ennui ; on le vit bien quand il vécut à Venise.

Cette âme légère a fait sa poésie avec ses idées et ses impressions, légères comme elle. Tourner un compliment ou une épi-gramme, quémander ou remercier, causer ou conter, voilà sa sphère : et dans tout cela il n’a pas son pareil. Deux épîtres au Roi, une épitre au Dauphin, une autre à Lyon Jamet, la ballade de frère Lubin, le rondeau à un créancier, nombre d’épigrammes, sont de bien petits, mais d’absolus chefs-d’œuvre. Cela est fait de rien. Tout le monde connaît cette grâce malicieuse, cette très peu candide et très naturelle simplicité, ces jets imprévus d’imagination ou d’ironie, cet art de dire les choses en se jouant, sans appuyer, et d’enfoncer profondément le trait dont l’atteinte est si légère. Mais ce qu’il y a de plus original ou de plus excellent dans