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clément marot.

à Genève et sa fuite n’y changèrent rien. Diverses pièces trouvées dans ses papiers, surtout l’allégorie inachevée du Balladin, démontrent que Marot est mort protestant.

Mais à quels motifs cédait cet aimable homme, quand il prenait des opinions, je ne dis pas bien dangereuses, mais surtout bien sévères pour sa gentille frivolité ? Faut-il supposer chez ce Méridional une lointaine survivance du vieil esprit d’hérésie qui avait causé trois siècles plus tôt la ruine du Midi ? Ou plutôt n’est-ce pas qu’à cet esprit fort médiocrement pourvu de puissance logique ou d’invention métaphysique, la doctrine de Farel offrait ce qu’en l’absence d’une philosophie constituée rien ne pouvait lui donner : un ensemble assez net d’idées qui pour l’instant affranchissaient la pensée. Les opinions de la Réforme ont été pour Marot une philosophie libérale et raisonnable.

Mais précisément, parce que ses idées seules étaient converties, la Réforme ne voulut pas de lui. Il n’avait pas converti ses mœurs : il resta jusqu’au bout homme de cour, homme de plaisir, un épicurien de la Renaissance. Sa religion était une spéculation comme pour d’autres le platonisme ou le péripatétisme. De là vient que pensant comme Genève, il ne put vivre à Genève. Sa croyance est dans sa tête, dans sa raison : de là la faiblesse de son inspiration religieuse. Si nous regardons seulement, la valeur intrinsèque et non l’influence, il n’y a à tenir compte que de l’œuvre profane de Marot : c’est à elle surtout qu’il faut nous attacher.

Marot par toutes ses origines tient au moyen âge : il en est. Son érudition est du moyen âge :

J’ai lu des saints la légende dorée,
J’ai tu Alain, le très noble orateur (Alain Chartier),
Et Lancelot, le très plaisant menteur.
J’ai lu aussi le Roman de la Rose,
Maître en amours, et Valère et Orose
Contant les faits des antiques Romains.

On sait qu’il édita le Roman de la Rose et les œuvres de Villon. Mais ses maîtres immédiats, c’est Jean Marot son père, Jean Le Maire de Belges, c’est Molinet aux vers fleuris, c’est le souverain poète français, « Crétin qui tant savait »,

Le bon Crétin au vers équivoqué,

en un mot les grands rhétoriqueurs. L’Adolescence Clémentine (1532) est l’œuvre surtout d’un grand rhétoriqueur, qui ne se corrigera jamais complètement. Allégories, depuis le Temple de Cupido jusqu’au Balladin, personnifications, abstractions, allitérations, rimes batelées, fraternisées, vers équivoqués, acrostiches, toutes les pédanteries, toutes les bizarreries, tous les tours de force se