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renaissance et réforme avant 1535.


2. LA REINE DE NAVARRE.


François Ier, pour l’histoire littéraire, s’efface derrière sa sœur Marguerite [1], qui fut mariée au duc d’Alençon, puis au roi de Navarre. Dans celle-ci se relient et tous les mouvements, toutes les tendances de la Renaissance française, dont elle est à ce moment la plus complète expression : plus complète sans nul doute que Marot qui la surpasse en talent littéraire. Elle est la femme accomplie, comparable aux plus beaux exemplaires que l’Italie ait offerts : une Isabelle de Gonzague n’a pas eu un plus riche développement. À Alençon, à Bourges, à Nérac, à Pau, dans toutes ses résidences, en voyage même, elle n’apparaît qu’entourée de poètes et de savants, qui sont ses valets de chambre, ses secrétaires, ses protégés et comme ses nourrissons. Elle reçoit les vers de Marot ; Despériers lui traduit le Lysis de Platon ; elle correspond avec Briçonnet et avec Calvin. Elle recueille, écoute toute sorte de philosophes et de théologiens, pourvu qu’ils ne soient pas scolastiques.

Née en 1492, en un temps où il fallait encore vouloir s’instruire, et le vouloir fortement, elle s’est instruite, et toute sa vie elle a continué de s’instruire ; elle apprit l’italien, l’espagnol, l’allemand, le latin ; Paradis lui donna des leçons d’hébreu, et à quarante ans elle poursuivait encore l’étude du grec avec Duchâtel. Dans sa litière, où cette infatigable voyageuse passa la moitié de son existence, elle travaillait, conversait, dictait : vers ou prose, chant, drame ou récit, religion ou galanterie, mythologie ou réalité, toute forme et tous sujets lui étaient bons. Sa science ne l’éloigne ni du monde ni des affaires. Elle tient sa cour, et une place brillante à la cour de son frère. Le roi trouve en elle un conseiller fidèle, un adroit et actif négociateur : pendant sa captivité, elle va jusqu’en Espagne traiter de sa délivrance.

  1. Biographie. Née en 1492, mariée en 1509 au duo d’Alençon, veuve en 1525, remariée en 1527 avec Henri d’Albret roi de Navarre, elle meurt en 1549. Elle recueille après l’orage de 1523 les réformateurs jusque-là groupés autour de Briçonnet qui se rétracte. Elle place Le Fèvre à Blois, puis le reçoit en 1531 à Nérac. Elle fait prêcher à Paris, puis en Béarn, Gérard Roussel, qu’elle fait évêque d’Oloron. Elle correspond avec le chanoine de Strasbourg, Sigismond de Hohenlohe, et tâche d’amener Mélanchthon à Paris pour conférer avec les théologiens. On brûle en 1529 Berquin son ami, en 1539 Jean Michel son aumônier. On prêche contre elle à Issoudun ; on joue une comédie contre elle au collège de Navarre. — Éditions : le Miroir de l’âme pécheresse, Alençon, Simon du Bois, in-4, gothique, 1531, ibid., 1533 ; Paris. 1533 ; les Marguerites de la Marguerite des princesses, Lyon, Jean de Tournes, 1547 ; l’Heptaméron, éd. de P. Boaistuan, Paris, 1558 (incomplète), de Cl. Gruget, Paris, 1559. — Les Marguerites, etc., éd. F. Franck, 1873, 4 vol. in-16. L’Heptaméron, éd. Le Roux de Liney, 1853, 3 vol. petit in-8 ; éd. P. Lacroix, 2 vol. in-8. 1880. Les Dernières poésies de la reine de Navarre, publ. par A. Lefranc. 1896, in-8. — A consulter : R. Toldo Contributo alla storia della novella francesa del xve siècle e xvie siècle secolo, Roma, 1895, in-8. Lefranc, Marg. de Navarre el le Platonisme de la Renaissance, 1899.