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renaissance et réforme avant 1535.

Médicis, et tant d’autres princes bien petits devant un roi de France, lui avaient par leurs exemples inculqué cette croyance, qu’un souverain accompli se doit à lui-même de protéger toutes les formes de l’esprit et de la science, d’orner son règne de philosophes et d’hellénistes aussi bien que de peintres et de poètes. Il élargit sa curiosité, il ouvrit sa cour, sa faveur, son esprit à Budé, aux graves éruditions, à la grande antiquité. Sa protection facilita la victoire de l’humanisme sur la discipline du moyen âge. Le grec[1], nous l’avons vu déjà, est absent du moyen âge. Sauf quelques moines irlandais qui en avaient un instant réveillé la tradition, les plus grands esprits eux-mêmes, tels que Gerbert, l’avaient ignoré. Le seul auteur grec connu était le pseudo-Denys l’Aréopagite, identifié à saint Denis, en l’honneur de qui, le 16 octobre, on célébra tous les ans jusqu’en 1789 une messe grecque à l’abbaye de Saint-Denis. Les traductions de quelques ouvrages d’Aristote n’impliquent aucune intelligence de la langue ni surtout de la pensée grecques : on lisait la Poétique, et nous voyons, dans un traité de métrique du xive siècle, les poèmes de Lucain et de Stace donnés comme exemples de tragédies. Les dominicains, pour l’intérêt des études théologiques et de leurs missions lointaines, semblent s’être préoccupés du grec, comme de l’hébreu : on a d’eux quelques traductions faites sur les originaux. Mais, au début du xve siècle, l’ignorance est encore si entière que Jean de Montreuil ne peut déchiffrer dans Juvénal et dans Boèce le fameux γνώθι σεαυτόν. Cependant le besoin de connaître les langues des Évangiles et de la Bible devenait plus pressant : et peut-être, en exécution des résolutions prises depuis assez longtemps, l’université de Paris donnait cent écus à Grégoire Tifernas en 1457 pour enseigner le grec avec la rhétorique. Dès 1455, même dès 1417 selon une lettre de Jean de Montreuil, un maître d’hébreu avait été rétribué. Ces essais, semble-t-il, ne se soutiennent pas ; et Tifernas, qui mourut quelques années après en Italie, ne fut pas remplacé.

On continua d’étudier exclusivement le latin. Les études littéraires refleurissaient depuis la fin du xive siècle : les humanités faisaient une concurrence, modeste encore, mais réelle, à la logique. Guillaume Fichet à la Sorbonne, Robert Gaguin aux Mathurins, d’autres aux Bernardins, à Navarre, enseignaient la rhéto-

  1. À consulter : Egger, l’Hellénisme en France, Paris, 2 vol. in-8, 1869 ; Thurot, De l’organisation de l’enseignement dans l’Université de Paris, Paris, in-8, 1850 ; G. Feugère, Erasme, Paris, 1874, in-8 ; Delaruelle, G. Budé, Paris, 1907, in-8 ; A. Lefranc, Histoire du Collège de France, Paris, 1892, in-8 ; S. Berger, Quam notitiam haberunt linguæ hebraicæ Christiani medii temporis in Gallia, in-8, 1893 ; Cf., en outre, Rabelais, livres I et II ; et Bayle, Dict. crit., art. Andrelin, Beda, Budé, Érasme, Castellan, Fèvre (le) d’Étaples, etc.