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clément marot.

marche contre la nature, et met son progrès à s’en éloigner. Cependant elle ne peut tout à fait s’abriter contre les souffles nouveaux : Jean Le Maire de Belges, qui fut historiographe de Louis XII, écrit les Illustrations des Gaules [1], vaste compilation de récits fabuleux, où se heurtent singulièrement l’érudition saugrenue du moyen âge et l’enthousiasme poétique de la Renaissance. Dans des périodes larges et nombreuses, illuminées de beaux mots, un peu guindées encore, mais dont les lignes sont vraiment nobles, il encadre, de clairs paysages, il exprime la grâce plastique des beaux corps et des groupes harmonieux. Ce littérateur interprète les mythes antiques avec l’âme d’un peintre ou d’un sculpteur italien ; mais le Flamand reparaît çà et là par certaines touches grassement réalistes. Ce même homme qui fait souvent des vers dignes de Molinet, est un ouvrier intelligent qui prépare l’instrument de la poésie future ; il introduit chez nous la terza rima, et Clément Marot tiendra de lui quelques excellents secrets de facture [2].



1. HUMANISME ET HELLÉNISME SOUS FRANÇOIS Ier.



En 1515, changement soudain de décor : dès que paraissent François Ier et sa sœur Marguerite, à la vulgarité bourgeoise, à la boursouflure bourguignonne succède toute la splendeur italienne de la vie de cour.

François Ier est assez ignorant, léger, superficiel : il semble qu’en fait d’art il ait eu surtout le sens du décor, surtout du décor mondain et fastueux. Il a aimé les tableaux, les statues, mais plus encore les bâtiments : l’architecture est son art favori. Sa passion est de se créer des demeures dignes de lui, où sa royauté s’encadre et ressorte ; et s’il recherche les tableaux et les statues, c’est un peu parce qu’il y voit un mobilier royal. Il a de l’intelligence au reste du goût : il aime la poésie, il fait des vers [3], comme Marot, trop souvent comme Jean, mais par rencontre aussi comme Clément. Il a l’imagination abstraite, subtile, spirituelle, des souplesses et des sourires nouveaux dans la sécheresse un peu triste d’autrefois.

Saint-Gelais et Marot, des épîtres et des chansons, suffisaient à la passion spontanée du roi : de lui-même, il n’avait pas besoin d’une autre littérature. Mais un Frédéric d’Urbin, un Laurent de

  1. Éditions : Paris, 1513. Œuvres de Jean Lemaire de Belges, édit. J. Stecher, Louvain, 1882-1891, 4 vol. in-8. et une notice.
  2. Ainsi, de ne pas faire tomber la césure sur un e muet, d’alterner les rimes masculines ou féminines ; cette dernière règle non encore obligatoire.
  3. Édition : Poésies de François Ier, etc., éd. par Champollion-Figeac, 1847, p. in-fol.