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renaissance et réforme avant 1535.

prit le dessus. À travers toute sorte d’écrits éphémères ou vulgaires, injurieux, partiaux, mesquins, deux genres s’y éprouvèrent et se formèrent : les mémoires et l’éloquence. La poésie, qui se perdait dans l’imitation artificielle et les froides éruditions, se rapprocha de la réalité, elle apprit à puiser aux vraies sources des sentiments profonds et généraux : la foi catholique de Ronsard, le zèle protestant de d’Aubigné tira d’eux le meilleur et le plus pur de leur poésie. Cette période se clôt par la Satire Ménippée, œuvre de circonstance et de polémique, dont l’intérêt dépasse la circonstance, et dont la polémique annonce l’apaisement.

Dès le temps des luttes, un grand esprit qui s’est tenu à l’écart des luttes a marqué le but ; éclairé par le Plutarque d’Amyot, Montaigne fixe à la littérature son domaine, la description de l’homme moral ; très positif sous son apparent scepticisme, il exclut à la fois de son idéal l’érudition encyclopédique et l’indifférence morale, et ramène le type italien de l’homme complet au type plus réduit et plus solide de l’honnête homme.

Sur les fondements qu’il a posés s’élève la littérature du règne de Henri IV : mais tandis que le rationalisme de Montaigne excluait en réalité le christianisme, les Charron, les Duperron, les François de Sales cherchent dans la religion à la fois le couronnement et la condition préalable du rationalisme. Insensiblement le xve siècle se dégage du xvie : la fougue cède à la discipline, la sensibilité à la raison, le lyrisme à l’éloquence.

Tout cela, c’était, au fond, le retour de l’esprit bourgeois : d’abord comme submergé par l’aristocratique civilisation où avaient fleuri l’élégance de Marot et la splendeur de Ronsard, il reparaissait, mais affermi, étendu, ayant pris conscience de sa force et de sa fonction, avide enfin et capable de toutes les vérités.

Restait qu’il acquit la notion et le sens de l’art : ce fut l’office de Malherbe de les lui adapter. Malherbe sauva l’art du naufrage de Ronsard, et, tandis qu’avec Desportes la poésie retournait aux grâces étriquées de la mondanité spirituelle, Malherbe fit d’une main un peu brutale la soudure de l’art antique et de la raison moderne. En proposant à l’art de manifester la raison, il trouva la formule qui résolut le grand problème littéraire du siècle, et nous rendit possible l’acquisition d’une grande poésie. Vers le même temps Hardy, si peu artiste, organisait la plus haute forme d’art qu’ait possédée notre littérature classique : il adaptait la tragédie au public, et la transportait de la rhétorique lyrique à la psychologie dramatique. Le xviie siècle commençait, et allait recueillir les résultats de la grande agitation du xvie [1].

  1. J’ai essayé de dessiner le plus exactement possible la courbe du développement de la littérature au xvie siècle. Mais ou conçoit que la vie ne s’ajuste point exacte-