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le théâtre du quinzième siècle.

qu’elle ne l’a jamais été chez les anciens, parce qu’elle emprunte le caractère d’absolue rigueur de la vérité théologique à laquelle elle s’oppose. Ces sciences et la philologie se séparent de la littérature : celle-ci garde l’homme moral, et le grand traducteur du siècle, Amyot, offre Plutarque, non aux philosophes, ni aux grammairiens, mais à tous ceux qui veulent savoir ce que c’est que l’homme et que la vie.

Cependant un grand effort se fait pour élever à la forme de l’art, sinon toute la littérature, du moins celle de ses parties qui peut le mieux s’y prêter, ou le moins s’en passer : la poésie. La poésie de Marot avait déjà un certain caractère d’art : mais c’était un art mondain, fait d’élégante netteté et de distinction aisée ; car le premier effet de la Renaissance a été de ranimer chez nous la poésie aristocratique. L’art, la grâce, la beauté sont reçus d’abord comme choses souverainement nobles ; et, pendant tout le siècle, les essais de création artistique s’enveloppent d’aristocratique délicatesse. Cela apparaît chez Ronsard, dont la poésie d’homme d’épée et d’homme de collège implique à ce double titre le mépris du bourgeois et du populaire. Il essaie d’atteindre à la beauté de la poésie grecque : par la combinaison du lieu commun et de l’image, dans les moules rythmiques et poétiques des anciens, il essaie de s’élever au grand art. Lui-même et son école remettent en usage les formes littéraires des anciens, les genres, ode, épopée, satire, élégie, tragédie. Impuissants à l’imiter, ou effrayés de son demi-échec, ses disciples et ses serviteurs laissent le grand art antique, se réduisent à l’alexandrin, au gréco-romain, enfin, avec Desportes, à l’art italien, retour qui met en lumière la vraie origine et l’agent efficace de notre Renaissance. Ce goût mièvre et mondain est comme une banqueroute de notre poésie, qui semble revenir à Charles d’Orléans, à Marot, si l’on veut, avec le naturel en moins. De l’esprit et de la distinction, il semble que ce soit tout l’art où nous puissions atteindre : un art charmant et petit, dont la principale affaire sera d’orner les salons et d’amuser les cours, et qui n’aura guère que la grâce d’un bibelot ou la beauté d’un ajustement.

Pendant que la poésie reculait de l’hellénisme à l’italianisme, la division des éléments de la Réforme et de la Renaissance s’était achevée. De la détermination des tendances, et de la précision des doctrines, avaient surgi des oppositions, des polémiques, des guerres, où le xvie siècle dépensait largement sa fougue passionnée et sa robuste vitalité. Ce fut une cause, en un sens, d’abaissement, en un autre, de renouvellement pour la littérature. Hommes, œuvres, genres, tout ce qui était pratique ou actuel, tout ce qui servait ou exprimait les intérêts ou les passions de circonstance,