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renaissance et réforme avant 1535.

rhétorique. Déjà hommes, ils s’enferment dans un collège, ils échappent à l’inertie d’un couvent, comme Budé ou Rabelais, pour épeler ces langues si nouvelles et si anciennes, les langues fondamentales de la science et de la religion : l’hébreu, le grec. D’autre part, le roi, les princes ont leur cour, somptueuse et polie ; il leur faut des poètes pour l’orner ; mais, avec le luxe brutal et la lourde sensualité du moyen âge, ils ont rejeté aussi le pédantisme grimaçant de la « rhétorique ». Leur esprit plus ouvert veut qu’on l’amuse avec le jeu étincelant des idées, non plus avec le cliquetis baroque des mots ; et ils demandent aux lettres la même sensation de nette et lumineuse élégance, que leurs nouveaux palais, leurs tableaux, leurs habits même et leurs armes leur donnent.

Dans la première époque de la Renaissance française, les divers courants ne se distinguent pas : tout se confond. Érudits et poètes s’assemblent autour de François Ier, autour surtout de sa sœur Marguerite. Le Fèvre d’Étaples est un helléniste et un théologien : il sert l’Humanisme et la Réforme. Despériers sert la Réforme, la libre pensée et la poésie. Marot, poète de cour, est un protestant de la première heure. Marguerite elle-même unit la poésie, le mysticisme, l’humanisme, le zèle de la morale ; on sent dans cette période comme un effort pour réaliser l’idéal italien de l’homme complet, dont le libre développement physique et moral ne souffre point de restriction et de limites.

Puis le mouvement se précise : les éléments hétérogènes se séparent ; les tendances divergentes s’accusent. Une première rupture, à laquelle aide l’exemple de Luther, dégage la Réforme de la Renaissance : Calvin se pose en face de Rabelais. La morale reparaît comme l’objet supérieur de la Réforme religieuse : Marot, trop protestant pour rester à la cour, est trop peu moral pour vivre à Genève. Même dans la libre philosophie, dans Rabelais, comme plus tard dans Montaigne, rétablissement d’un idéal de la vie pratique devient la fin principale que poursuit la raison. C’est l’élimination de la virtù ou, si l’on veut, de la notion de l’art pur appliqué à la forme de nos actes.

L’art s’élimine aussi, par la tendance essentielle de l’esprit français, des autres ouvrages de la pensée. L’humanisme, par les efforts de Budé, de Rabelais, de Turnèbe, de Lambin, de Cujas, de Ramus, des Estienne, abandonne chez nous l’imitation artistique pour l’examen critique : il devient la philologie ; Bembo est vaincu par Érasme. Toutes les sciences se détachent et se constituent : histoire, philosophie, politique, agronomie, sciences naturelles : les spécialités, les écrits techniques apparaissent en Paré et Palissy. Un grand élan de curiosité porte le raisonnement et l’expérience vers la conquête de la vérité scientifique, plus rigoureusement définie