Qu’on se représente la France de 1494 descendant pour la première fois de l’autre côté des Alpes, les fils des compères de Louis XI, des compagnons du Téméraire découvrant soudain au sortir de leurs bonnes villes et de leurs maussades plessis la claire et délicieuse Italie : ce fut une stupeur, un éblouissement, un enivrement. Ils furent pris par tous les sens et par tout l’esprit : une conception nouvelle de la vie s’éveilla en eux, et ils commencèrent à transporter chez eux tout ce qui les avait ravis la-bas : ils voulurent avoir des palais, des jardins, des tableaux, des statues, des habits, des bijoux, des parfums, des livres, des poètes, des savants, des animaux rares, de la science, de l’esprit, comme en avaient les Médicis, les ducs d’Urbin ou de Ferrare ; quand ils revinrent en France, toute la Renaissance y entra avec eux, un peu pêle-mêle, dans leurs cervelles comme dans leurs fourgons.
La secousse décisive était donnée ; tous les germes qui dormaient épars dans la décomposition de l’ancienne France commencèrent d’évoluer. Il fallut une vingtaine d’années et, avec François Ier, l’avènement d’une génération nouvelle, pour que l’universelle transformation apparût. Mais il est curieux de voir comment dans ce contact d’une civilisation supérieure, qui la domina si puissamment, la France préserva, développa même son originalité littéraire : chaque élément de la Renaissance italienne fut adapté, transformé ou éliminé par ce génie français dont elle a tout à coup éveillé la force. Moins artiste que le génie italien, il a des tendances pratiques et positives, qui l’orienteront vers la recherche de la vérité scientifique ou morale : il trouvera de ce côté un appui dans les races septentrionales, en Angleterre, en Flandre, en Allemagne surtout, où la Renaissance prend la forme de l’érudition philologique et de la réforme religieuse.
L’étude de l’antiquité et la vie de cour sont comme les deux portes par où un air frais et vivifiant arrive à notre littérature. Les studieux jeunes gens nés dans les dernières années de Louis XI, que l’éducation scolastique avait laissés inquiets et affamés, lisent avidement, avec un esprit nouveau, avec l’esprit des Pogge, des Valla, des Guarini, les grandes œuvres latines dont le moyen âge n’avait ni pénétré le sens profond ni senti l’admirable forme : ils reçoivent la révélation de ce qu’avaient caché trop longtemps les bibliothèques des couvents. Lucrèce, Tacite, Quintilien, une grande philosophie, une profonde psychologie, une fine