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le théâtre du quinzième siècle.

l’action et du dialogue enveloppe une certaine vérité d’observation, qui n’est pas même dénuée de finesse.

Malgré ces deux farces auxquelles il faut faire une place à part, le théâtre comique du xve et du xvie siècle ne pèserait pas lourd, si l’on n’avait Patelin [1]. Mais Patelin, malgré son titre, est une comédie. Il y a là, dans des proportions que la farce ne connaît pas, un développement des caractères et un maniement des situations qu’elle n’a pas connus davantage. Dans ce sujet si simple — un marchand fripon, dupé par un avocat fripon, que dupe à son tour un rustre fripon, auquel il avait donné secours pour duper encore le marchand — dans ce sujet si mince, il y a un tel jaillissement de gaieté, tant de finesse, tant d’exactitude dans l’expression des caractères, une si délicate et puissante intuition de la convenance dramatique et psychologique des sentiments, une vie si intense, et un style si dru, si vert, si mordant, ici une si exubérante fantaisie et là une si saisissante vérité, souvent un si délicieux mélange de la fantaisie au dehors et de la vérité au dedans, qu’en vérité la farce de maître Pierre Patelin est le chef-d’œuvre de notre ancien théâtre, et l’un des chefs-d’œuvre de l’ancienne littérature. Étant du xve siècle, et profondément bourgeoise, l’œuvre manque manifestement d’élévation morale : elle est plutôt prosaïquement insoucieuse de l’idéal moral, qu’effectivement immorale. C’est moins parce qu’on rit des dupes que par la façon dont on en rit, absolument de tout cœur et sans arrière-pensée, ni ombre de restriction, que l’insuffisance morale de la pièce éclate. Pour celui qui l’a écrite, pour ceux qui la voyaient, l’action de Patelin était une folie, et l’esprit de Patelin était la vérité même, la raison et la vie.

On ne sait par qui ni quand Patelin fut composé et joué : tous les noms, toutes les dates qu’on a donnés ne s’appuient sur aucun fondement sérieux. Voici le peu qu’on peut affirmer : la première édition imprimée est antérieure à 1490. Les allusions à la comédie et au caractère de Patelin se suivent jusqu’à 1470 : avant, il n’y a rien. L’auteur est inconnu : la nature du sujet fait conjecturer qu’il était basochien et voulait amuser les gens du Palais. Agnelet parle en paysan des environs de Paris, et la pièce est sans doute parisienne.

Il est visible que dans l’esprit de l’auteur anonyme, cette veine d’observation exacte et d’expression des caractères que nous avons

  1. Éditions : Pathelin le grand et le petit, Paris, G. Beneaut, 1490 ; 4 autres édit. non datées antérieurs à 1500. Édit. modernes : P.-L. Jacob, Jouaust, 1876 ; Recueil Fournier, etc. – À consulter : Renan, Essais de morale et de critique ; Petit de Julleville, Répertoire, etc., p. 191.