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le théâtre du quinzième siècle.

moralités mystiques, morales, pédagogiques, qui sont toutes également traitées en lourdes allégories. Ce fut le genre favori des grands rhétoriqueurs : et leur froide et laborieuse fantaisie s’y donne carrière jusqu’aux extrêmes limites de l’extravagance et de l’insipidité.

Non moins allégoriques, mais parfois plus vivantes, et du moins plus intéressantes par leurs sujets, animées par quelques éclats de sentiment sincère et de malice spirituelle, sont les moralités politiques : celles surtout où le sentiment patriotique et populaire s’exhale en vives satires. Ici la moralité confine à la sottie et à la farce, et il est difficile de savoir pourquoi Mieux que devant ou les Gens nouveaux, qui sont les plus agréables pièces du genre, sont qualifiées de farce morale ou bergerie morale : ce sont purement et simplement des moralités. Les querelles religieuses du xvie siècle, comme on peut penser, eurent leur écho au théâtre : sur 65 moralités que catalogue M. Petit de Julleville, 15 sont des œuvres de polémique, presque toutes enflammées des passions de la Réforme. Il y faut joindre diverses farces, dont la plus fameuse et la plus âpre, celle des Théologastres, a tous les caractères d’une moralité.

Le théâtre sous Charles VII, Louis XI et Charles VIII s’était risqué à dire son mot sur les affaires du temps : il en avait coûté parfois aux auteurs et aux acteurs. Sous François Ier, ils sentirent de nouveau la main du pouvoir. Louis XII leur donna toute licence : son règne fut le bon temps pour les basochiens et les sots ; il leur abandonna ses courtisans, ses ministres, un peu même de sa personne. Il en fit ses alliés, les confidents de sa politique, chargés de guider et de préparer l’opinion publique. Le bon roi usa du théâtre comme de plus modernes ont usé de la presse.

Cette politique donna un moment d’éclat au genre, du reste assez obscur, de la sottie. En 1511, au Mardi gras, Gringore, étant Mère Sotte, fit représenter aux Halles le Jeu du prince des Sots, suivi d’une moralité et d’une farce. Sottie et moralité étaient dirigées contre Jules II : la moralité l’introduisait sous le nom de l’Homme obstiné entre Peuple italique et Peuple français. La sottie soulevait l’opinion publique contre la fureur et l’ambition de l’Église romaine, sous les habits de qui se découvrait à la fin Mère Sotte. Ce fut là le meilleur jour de la sottie : et l’œuvre de Gringore est, des 26 sotties que compte M. Picot, la plus agréable à lire. La fameuse sottie, intitulée le Monde, Abus, les Sots, vaut surtout par sa liste de personnages : Sot Dissolu, habillé en homme d’Église, Sot Glorieux, habillé en gendarme, Sot Corrompu, habillé en marchand, Sot Ignorant, habillé en vilain, et Sotte Folle, en femme. Tout le comique de la pièce est dans ces attributions de caractères. Le principe générateur de la sottie pouvait être fécond : mais il eût fallu