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le théâtre du quinzième siècle.

Baude fut ainsi emprisonné pour une moralité trop satirique. Heureusement pour le théâtre de la basoche, le parlement, qui le censurait, le défendait contre la cour.

On ne sait trop d’où venaient les Enfants sans souci, les Sots habillés de jaune et de vert, et coiffés du chaperon orné d’oreilles d’âne et de grelots. Il se peut que, selon une hypothèse assez vraisemblable, ils représentent les célébrants de la fête des fous, quand cette joyeuse et insolente parodie des cérémonies religieuses fut bannie de l’Église. De la fête des fous laïcisée par force, il ne subsista que le principe, l’idée d’un monde renversé qui exprimerait en la grossissant la folie du monde réel : c’est ce que développèrent au gré de leur libre fantaisie nombre de sociétés joyeuses, comme Mère folle à Dijon, et les Sots de Paris. Ceux-ci étaient gouvernés par le Prince des Sots, au-dessous de qui venait Mère Sotte chargée d’organiser les représentations dramatiques. Il faut dire que la confrérie des sots n’existait réellement que quand ses membres en prenaient le costume, pour une cérémonie et une représentation solennelle : ailleurs elle n’avait qu’une existence virtuelle et nominale. La basoche au contraire représentait un état : elle reposait sur la profession habituelle de ses membres. De là la difficulté qu’on a éprouvée à déterminer qui étaient les Sots. Tout le monde pouvait être Sot. Il y eut parmi les Sots des basochiens ; ainsi Clément Marot dans sa jeunesse était des deux sociétés ; il y eut des Sots parmi les écoliers. Sans doute aussi des bourgeois, des artisans se firent affilier à la corporation : mais, comme il est naturel, vu la nature et l’objet de l’association, l’élément jeune, remuant, débauché et bohème dominait et donnait le ton.

Les Sots jouaient des sotties [1] : les basochiens, des moralités et des farces. Grâce sans doute aux membres communs qu’elles comptaient, les deux sociétés firent de bonne heure un accord pour mettre en commun leur répertoire. Les basochiens jouèrent des sotties sur la grande table de marbre du Palais. Les Sots dans leurs représentations du Mardi gras, aux Halles, accompagnèrent leurs sotties de moralités et de farces. Une habitude s’établit de composer le spectacle des trois genres de pièces. Vers le milieu du xve siècle, les Confrères de la Passion, notant la vogue de ces sortes de représentations, appelèrent les basochiens et les sots à jouer dans leur hôtel : et c’est ainsi qu’au début du xviie siècle on rencontre encore le Prince des Sots, quand on fait l’histoire de l’Hôtel de Bourgogne.

  1. Si, comme le dit M. Picot, la sottie est une parade, les sots pourraient avoir commencé par imiter plaisamment les bateleurs qui font les niais, les queues rouges et les bobèches du temps, les héritiers des stulti et des derisores de la société antique. Cette imitation se serait organisée et développée, en prenant le sens d’une parodie universelle et consciente des folies de ce pauvre monde.