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le théâtre du quinzième siècle.

d’autres rédactions antérieures et postérieures à l’œuvre de Gréban attestent la force de la tendance cyclique. Si l’on met à part les vies de saints, qui ne se prêtaient d’aucune façon à s’agglutiner en masse, le mouvement se dessine nettement : le drame liturgique des Prophètes du Christ s’est brisé en drames distincts, et ces drames distincts se sont réunis de nouveau et soudés dans le mystère du Vieil Testament, où les derniers apparaissent seulement juxtaposés. Pour la Passion, ou plutôt pour la Vie du Christ, il n’apparaît pas d’ensemble primitif : le poème cyclique succède aux Nativités, aux Annonciations, aux Adorations des rois mages, aux Résurrections, aux Passions, etc., qui existèrent d’abord séparément[1]. Quant aux Actes des Apôtres, ils ne sont qu’une œuvre artificielle, une sorte de découpage du Livre sacré, par lequel des auteurs avisés ont voulu compléter et exploiter un succès assuré.

Rarement, au xve siècle, les auteurs de mystères sont sortis de l’histoire religieuse. Ou en cite deux : le Mystère du siège d’Orléans, œuvre orléanaise, qui n’est pas de beaucoup postérieure à la délivrance de la ville, ou tout au moins ne l’est pas à la réhabilitation de Jeanne d’Arc : on s’explique suffisamment le sentiment de piété locale qui fit choisir ce sujet, d’autant que la fête anniversaire du 8 mai était devenue la vraie fête patronale de la ville d’Orléans. L’autre est le mystère de la Destruction de Troye, œuvre d’un écolier lettré, qui, pour intéresser le public à un sujet peu nouveau, lui a donné la forme alors la plus goûtée. Mais il n’est pas même sûr que ce découpage de Darès le Phrygien et de Benoît de Sainte-More ait jamais été joué, et qu’il y ait là autre chose qu’un roman dialogué destiné au divertissement des lettrés qui lisaient. Les mystères profanes n’apparaîtront vraiment que dans l’extrême décadence du genre, entre 1548 et 1598, quand l’interdiction du Parlement aura enlevé aux acteurs de mystères leur répertoire sacré.

En effet, quelque profane qu’apparaisse souvent l’esprit des mystères, ils n’en sont pas moins le produit d’une intention pieuse et destinés à l’édification. On les joue « en l’honneur de Dieu pour l’instruction du pauvre peuple » : en 1497, à Chalon-sur-Saône, pour obtenir la fin d’une peste ; en 1509, à Amiens, pour remercier Dieu des bonnes récoltes. Un chanoine de Langres fait jouer à Langres en 1482 une Vie de Mgr saint Didier : c’est le patron de la ville. Gringore compose une Vie de saint Louis pour la corporation des maçons et des charpentiers, qui possède la chapelle de saint Blaise et de saint Louis : le mystère se jouera le 25 août, pour honorer le patron des maçons et des charpentiers. Et ainsi

  1. Cf. Jubinal, ouvr. cité, t. II.