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littérature dramatique.

Cependant cette pauvreté serait atténuée si l’on se décidait à ne plus compter parmi les mystères l’ « histoire de Griselidis ». C’est un petit drame, purement moral, et tout à fait analogue aux moralités pathétiques et non allégoriques qui se joueront plus tard. Il a pu être construit sur le modèle des miracles : il appartient à un genre absolument différent. Au reste, il contient des parties touchantes, et la douce soumission de Griselidis s’exprime par des traits quelquefois bien délicats : ainsi, quand la pauvre femme demande à son mari de traiter mieux sa nouvelle épouse qu’il ne l’a traitée elle-même : elle est, dit-elle, « plus délicieusement nourrie », plus jeune, plus tendre que moi, et ne pourrait souffrir « comme j’ai souffert ». N’est-ce pas tout à fait exquis ? Pour cette rareté dans l’époque qui nous occupe, pour un peu de fine sensibilité, l’ « histoire de Griselidis » est à lire.

Il ne faut pas finir cette étude des origines du théâtre comique, sans rappeler que certaines œuvres qui n’ont aucun rapport avec le théâtre, contiennent cependant des germes précieux. Je veux parler de l’imagination psychologique, du don de distinguer les formes générales des caractères et des vies humaines, et de composer les actes et paroles d’un personnage en parfait accord avec ses sentiments. Ces qualités que nous avons trouvées déjà dans les fabliaux de Gautier le Long, et dans certains développements dialogués de Jean de Meung, apparaissent aussi dans le satirique Miroir de Mariage d’Eustache Deschamps, où il ne serait pas difficile de signaler les esquisses d’une expression synthétique de certains états moraux, où, par exemple, le thème moral de Georges Dandin est indiqué, sans mélange d’action ou d’intrigue dramatique. Il en faudrait dire autant, pour le xve siècle, du livre des Quinze joyes du mariage, et en général des œuvres de nos conteurs satiriques où ils ont bien voulu regarder, au lieu de l’anecdote et des individus, les figures en quelque sorte schématiques des divers états de la vie et des divers tempéraments de l’homme. Tout cela, un jour, aidera la comédie, cette fidèle et suggestive image de l’humanité, à sortir de la farce vainement fantaisiste, ou réaliste sans portée.

    l’auteur ait visé à la fois la lecture, la récitation par un jongleur unique, et la représentation par personnages. De légères suppressions font de la pièce une œuvre purement dramatique : et d’autre part, pour un public encore peu habitué à la mobilité du dialogue scénique, la lecture et la simple récitation exigeaient certaines indications et parties de récit, sans lesquelles ces esprits peu alertes auraient eu peine à suivre et à comprendre le mouvement du morceau. La seconde pièce, que je n’ai vu encore relever par personne, est une très ordurière pièce, intitulée exactement Sotte Chanson de cinq vers à deux visages, à jouer de personnages (n° 1218, t. VI, p. 211).