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le théâtre avant le quinzième siècle.

M. Bédier, voyez se succéder, s’agiter, tourbillonner, autour de ces bourgeois, un « fisicien », qui diagnostique les maux de lame et ceux du corps, un moine quêteur et porteur de reliques, un fou qu’on mène tour à tour au « fisicien » et au moine, le cortège diabolique d’Hellequin, et les trois fées Morgue, Arsile et Maglore ; voyez s’entremêler le banquet fantastique des fées, où l’on punit par une menace traditionnelle un oubli légendaire, et la très réelle « beuverie » où l’on amène le moine à mettre en gage chez le tavernier les reliques de son saint. Vous aurez une idée légère de l’inénarrable pièce où Adam le Bossu a jeté tout à la fois ses rancunes et ses observations, toute son individualité, et la vie de cette ardente commune picarde, et jusqu’aux superstitions légendaires qui, à côté de la religion, maintenaient une idée du surnaturel dans ces natures matérielles : outre le dessin de l’œuvre, outre la verve des scènes populaires, il y a des coins de vraie poésie, tendre ou fantaisiste, où l’on n’accède parfois qu’à travers d’étranges et plus que grossières trivialités.

Les deux pièces d’Adam de la Halle sont, avec une insignifiante parade [1], tout ce qu’on a conservé du répertoire comique du xiiie siècle : plus pauvre encore est le xive. M. Petit de Julleville signale sept représentations de moralités, farces, dialogues, données en diverses villes. On voit s’organiser en ce siècle et prospérer des sociétés et confréries, sur lesquelles en grande partie reposera le théâtre du siècle suivant, basoche, enfants sans souci, etc. On a quelque raison de croire que les écoliers jouaient dans leurs collèges des pièces comiques : du moins leur voit-on défendre les « jeux déshonnêtes » aux fêtes de saint Nicolas et de sainte Catherine. Enfin, auprès de certains princes apparaissent des acteurs de profession : en 1392 et 1393, Louis d’Orléans donne des gages à quatre « joueurs de personnage ». Mais les œuvres font défaut.

On trouve seulement dans Eustache Deschamps quelques pièces, qui nous montrent avec quelle lenteur la comédie se détache des autres genres où son origine l’engage. Voici un « Dit des quatre offices de l’Hôtel du roi, à jouer par personnages », et ce dit, où Saucerie, Panneterie, Echansonnerie et Cuisine dialoguent comme les maîtres de M. Jourdain, est une burlesque, triviale et insipide moralité : c’est un divertissement de cour. Également destinées à la récitation dramatique sont certaines pièces de forme narrative et lyrique du même écrivain : ici le fabliau se réduit presque en farce dialoguée, là une altercation bouffonne s’enferme dans le cadre d’une ballade, « à jouer de personnages [2] ».

  1. Du garçon et de l’aveugle, farce jouée à Tournai vers 1270.
  2. La première pièce est celle que M. de Queux de Saint-Hilaire intitule la Farce de Trubert et d’Antroignard. Des vers de récit sont mêlés au dialogue. Il semble que