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littérature dramatique.

Naples, environ dix-huit mois après les Vêpres Siciliennes, devant la cour française de Charles d’Anjou, est un poème gracieux, parfois spirituel ou charmant, parfois d’une grossièreté voulue. Le chevalier offre à Marion son amour : elle refuse. Robin est battu, mais Marion est fidèle. Voilà le sujet, il est banal. Mais ce sujet s’encadre dans une peinture de mœurs villageoises : déjà les pastourelles artésiennes dans leur forme lyrique y inclinaient. On voit Marion, Robin, leurs amis et amies manger du fromage, des pommes ou du lard, jouer aux petits jeux, pas toujours innocents, chanter de joyeuses et vertes chansons, goguenarder, cabrioler, danser, jusqu’à ce qu’une sorte de farandole les enlève de la scène. Cette partie descriptive se prolonge comme si le goût de l’auteur et du public en faisait le principal agrément de la pièce. Et il se fait un curieux mélange de paysannerie convenue et de naturelle rusticité. Marion et Robin sont des figures d’opéra-comique, dans l’action traditionnelle qui les oppose au chevalier : dans la description, qui échappe à l’action tyrannique du lyrisme, ce même couple, et surtout les paysans qui viennent se grouper autour de lui, sont dessinés avec une verve énergique et une sensible recherche de réalité. Mièvre ou grossier, le poète s’égaie, et souligne du même sourire discret les jolies mignardises des poupées du « pays bleu » et les vulgaires ébats des rustres du terroir artésien.

M. Bédier croit trouver un dessin moins sec, plus de substance et de relief dans les personnages du Jeu de Robin et de Marion que dans ceux du Jeu de la Feuillée : est-ce parce que cette pièce-ci est antérieure de vingt ans à l’autre ? ne serait-ce pas que dans l’une la longue tradition de la pastourelle fournissait au poète de quoi étoffer ses personnages, et dans l’autre il avait tout à créer, tout à marquer de traits tirés de son invention propre ? Toujours est-il que ce Jeu de la Feuillée est autrement curieux, intéressant, que la gentille pastorale dont je viens de parler : c’est une œuvre unique, complexe, satirique et bouffonne, réaliste et féerique, une œuvre qui, malgré les sécheresses et les gaucheries de l’exécution, oblige d’évoquer les noms d’Aristophane et de Shakespeare : cela suffit à la classer.

Imaginez-vous une sorte de revue où défilent sous leur nom, avec leur caractère, en propre personne ou par directe désignation, dix ou vingt bourgeois connus de la ville, où le poète, à côté de son père et de ses voisins, s’introduit, contant son mariage, comment il s’est défroqué pour épouser la belle qui l’a si délicieusement ravi et si vite lassé, comment il veut se démarier, et s’en aller à Paris étudier : écoutez ces propos salés et mordants de compères en belle humeur, qui en disent de dures sur les femmes, et voyez dans un brouhaha de « kermesse », selon le mot si juste de