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littérature dramatique.

invocation. Les sociétés littéraires qui devinrent si nombreuses à partir du xiie siècle, les puys, la choisirent à l’ordinaire pour patronne ; un genre même de poème lyrique, le serventois, lui fut consacré dans les concours. Il ne faut donc pas s’étonner si puys et confréries pour honorer la Vierge firent composer et représenter des pièces sur les miracles obtenus par son intercession. Ces pièces ne sont pas d’un art nouveau : moins graves que les anciens drames liturgiques, plus sérieuses que le jeu de saint Nicolas et que les mystères, très familières et rarement comiques, elles ont un caractère à la fois populaire et dévot que leur destination explique.

Le Miracle de Théophile, avec sa tenue édifiante et un peu compassée, avec sa forme travaillée, et parfois trop littéraire, avec l’artifice de ses développements et de ses rythmes qui marquent la maigreur de la pensée, n’est pas une œuvre supérieure. Il y a là un talent d’écrivain trop complaisamment étalé pour que les attitudes rigides et le dessin sec de ces personnages de vitraux se fassent goûter. Cependant nous connaissons la simplicité de la foi du poète, et sa fervente confiance en Notre-Dame : il en a tiré quelques assez belles inspirations, et un monologue demi-lyrique du clerc repentant, dont le mouvement est en vérité pathétique. En somme, cette pièce, qui n’a rien de rare, peut être prise comme un type distingué des compositions dramatiques dont l’objet est de glorifier Notre-Dame.

Les quarante miracles joués on ne sait dans quel puy, dans l’Ile-de-France, sans doute ou en Champagne, dont un manuscrit nous a présenté le recueil, sont de moindre valeur littéraire, et n’ajoutent pas grand’chose à l’idée qu’on se fait de l’évolution du genre dramatique. Des scènes décousues qui défilent devant nous comme une collection d’images sous les yeux d’un enfant, nulle préoccupation des caractères, des sentiments et de la vie intérieure, une stricte déclaration des pensées précisément nécessaires pour rendre les actes intelligibles dans leur suite, mais non pas dans leur production, un courant facile et plat de style où sont semés des îlots de rondels, motets et chansons, certains raffinements d’art, et point de poésie : voilà ces Miracles de Notre-Dame. Il vaut la peine de les étudier, quand on veut se représenter les caractères de la dévotion du moyen âge : ces drames, comme les narrations de Gautier de Coincy et autres de même nature, nous font apercevoir dans leurs incroyables excès l’absurdité, la grossièreté, l’immoralité même des formes où se dégradait la noblesse essentielle du culte de la Vierge. On ne saurait imaginer quels péchés ni quels pécheurs la Vierge arrache à l’enfer, au supplice, au déshonneur, sur un mot de repentir, même sur un simple acte