Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/212

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
190
littérature dramatique.

culte [1]. Il ne s’agit que du théâtre qui tire ses sujets de l’histoire religieuse et des légendes dévotes. Ainsi réduite, la proposition n’a plus rien d’étonnant.

Tout ce que le peuple pouvait goûter d’émotions esthétiques lui venait par la religion : l’Église était la maison bénie où se dilatait son âme, opprimée par la dureté de la vie. Les pompes, les cérémonies de l’Église étaient sa joie. Il ne se trouvait jamais assez longtemps retenu par le service de Dieu. Et la messe était une belle chose ; mais surtout c’était déjà un drame : drame dans sa forme, par les chants alternés avec la récitation, par le dialogue de l’officiant et des clercs ou des fidèles : drame aussi dans son fond, par la commémoration symbolique du sacrifice, de l’acte essentiel qui fonda le dogme. Le prêtre devenait Dieu, et Dieu parlait : Ceci est mon corps, ceci est mon sang. Mais la source immédiate du drame, c’était la variation de l’office du jour, les prières ou le récit qui rappelaient l’acte divin, le saint, ou le martyr, dont l’office du jour consacrait particulièrement la mémoire ; c’était l’Évangile, les Actes des apôtres, ces délicieux poèmes de la religion naissante, que l’usage de l’Église découpait pour servir à l’édification du peuple selon l’ordre de l’année chrétienne. Le drame était partout dans ces récits : il suffisait de distinguer les personnages et de distribuer les rôles. Ne voit-on pas encore aujourd’hui l’Évangile de la Passion se lire à trois voix, le prêtre disant la partie de

  1. Il paraît utile d’indiquer la provenance des manuscrits qui contiennent les pièces principales dont le rapprochement fait apparaître nettement l’évolution de la poésie dramatique depuis ses premières origines. Tropes : ms. de l’abbaye Saint-Martial de Limoges, Bibl. nat., fonds latin, n° 1118. — Drames liturgiques : ms. de Saint-Martial de Limoges, Bibl. nat., fonds latin, n° 1139 : il contient le drame des Vierges folles et les Prophètes du Christ. Ms. de l’abbaye de Saint-Benoît à Fleury-sur-Loire, Bibl. d’Orléans, n° 178 : il contient dix drames liturgiques, quatre Miracles de saint Nicolas, l’Adoration des Mages, le Massacre des Innocents, les Saintes Femmes au tombeau, l’Apparition à Emmaüs, la Conversion de saint Paul et la Résurrection de Lazare. Mss de Rouen, Nos 48 y et 50 y : ancienne rédaction du drame de la Crèche. Mss d’Origny Sainte-Benoite, Bibl. de Saint-Quentin, n° 75 : le Drame des Trois Maries.

    Éditions : Hilarii versus et ludi, pub. p. Champollion-Figeac, Paris. 1838. Conssemaker. Drames liturgiques, Rennes, 1860 (les Vierges folles ; les Trois Maries). Fr. Michel et Monmerqué, Théâtre français au moyen âge, Paris, 1839 (Vierges folles ; Prophètes du Christ (latin) ; la Résurrection du xiie siècle ; le Jeu de saint Nicolas, de Jean Bodel, etc.). Adam, mystère du xiie siècle, éd. L. Palustre, Paris, 1877 ; éd. K. Grass (Rom. Biblioth., vi), 1891. Le Miracle de Théophile, dans Rutebouf, Œuvres complètes, éd. Jubinal, Bibl., elzév., t. II. Les Miracles de Notre-Dame (ms. Cangé), publ. par G. Paris et U. Robert, 8 vol. in-8, Soc. des Anc. textes, Paris, 1879 et suiv. ; les neuf dernières pièces du recueil de Fr. Michel et Monmerqué sont extraites du second tome de ce même ms. Cangé.

    À consulter : Petit de Julleville, Mystères, 2 vol. in-8, Paris, 1880, avec une bibliographie détaillée. L. Gautier, Histoire de la poésie liturgique : les tropes, Paris, 1886. W. Creizenach, Geschichte des neueren Dramas, t. I, Halle, 1893, in-8. ; J. Bédier, Fragment d’un ancien mystère (Romania, t. XXIV) ; G. Cohen. Histoire de la mise en scène dans le théâtre religieux du moyen âge, 1906.