Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/193

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
171
le quatorzième siècle.

Quinze Joies de mariage dérobent la dérision cynique de la famille sous le même ton d’innocente malice. La touche est plus forte, la précision plus sèche et plus brutale dans les Cent Nouvelles nouvelles, dont il fut le principal et peut-être l’unique rédacteur [1].

Coquillard, prêtre et juriste, plus lourd bien que Champenois, moins aisé et moins net, se donne le double plaisir de dauber la justice par la forme, et les femmes par le fond de ses impudentes satires. Henri Baude est parfois étonnant d’audace naturaliste, dans sa manière sobre et mordante, où il détache d’un mot sec et saisissant la réalité qu’il veut montrer : et Dieu sait sur quelles réalités tombe son œil implacable d’observateur et de peintre ! Autre accent dans le cynisme assaisonné de franche gaieté et de fantaisie délirante de Patelin, à qui nous reviendrons.

On a des chansons du xve siècle, populaires au moins par leur vogue : qu’y trouve-t-on ? la fade sentimentalité qui encore aujourd’hui partage les applaudissements avec la grosse ordure dans nos cafés-concerts, d’innocentes mièvreries émanées de la haute littérature allégorique, et qui une fois sur vingt échappent à la puérilité, une fois sur cent atteignent l’exquise délicatesse : avec cette poésie de rêve, la réalité sans voiles, dans toute sa brutalité, dérision du mariage et de la famille, âpre désir des jouissances grossières, filles qui partent avec les gens d’armes, soudards avides de pillage, accourant comme des bêtes de proie aux provinces où il y a guerre : en somme, le plus complet nihilisme moral adouci par les tons chauds d’une verve robuste.

Il n’est pas jusqu’à l’éloquence de la chaire, que n’envahisse l’esprit de raillerie brutale ou bouffonne. La foi ne manquait pas aux Maillard, aux Menot, à ces fougueux va-nu-pieds de cordeliers, qui disaient leurs vérités à tout le monde, durement, impudemment, ne ménageant personne, ni la coquette bourgeoise, ni le prince luxurieux ; mais c’était une étrange éloquence que la leur, tandis qu’ils livraient leurs auditeurs, âme et corps, à Satan, et qu’à la chair joyeuse, éclatante de vie, ils donnaient le frisson de la mort soudainement découverte, le dégoût apeuré de la pourriture inévitable et prochaine. Jovialités facétieuses, et brusques indigna-

  1. Éditions : Le Petit Jehan de Saintré, éd. Guichard, in-18, Paris, 1843 ; les Quinze Joyes de mariage, Bibl. elzév., in-16, Paris, 1853 ; les Cent Nouvelles nouvelles, Bibl. elzév., in-16, Paris, 1858. Œuvres de G. Coquillard, Bibl. elzév., in-16, Paris, 1857. Chansons du xve siècle, pub. Par G. Paris (Soc des Anc. Textes), in-8, Paris, 1875. O. Maillard, Sermones de Adventu, in-4, 1498 ; Quadragésimale opus, in-4, Paris, 1498 ; Deux autres recueils, in-8, Paris, 1545. Menot, Sermones quadragésimales olim Turonibus declamati, in-8, Paris, 1519 ; Sermones Parisiis declamati, in-8, Paris, 1530 ; Sermon tousseur (de Bruges), réimprimé en 1826 par l’abbé Labouderie. – À consulter : Romania, oct. 1900 (sur Coquillard) ; Quicherat, Henri Baude, 1836 ; Labitte, Menot, 1838 ; A. Samouillan, Olivier Maillard, son temps et sa prédication, Paris, 1892.