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le quatorzième siècle.

diviser et dilater lui-même son sermon, même secundum formam syllogisticam. On viendra à son secours : vers 1395 parait le fameux Dormi secure, recueil de sermons tout rédigés, bons à prêcher. Dors en paix, prédicateur : ton sermon est fait. Comme on voit, l’idée de Maurice de Sully a fait son chemin.

Cependant à la fin du xive siècle les maux de l’Église et du royaume ranimèrent l’éloquence religieuse : plus d’une fois les émotions et les haines amassées dans les cœurs firent craquer les mailles serrées du raisonnement scolastique. « Grande chose était de Paris, nous dit-on vers 1400. quand maître Eustache de Pavilly, maître Jean Gerson, frère Jacques le Grand, le ministre des Mathurins et autres docteurs et clercs voulaient prêcher tant d’excellents sermons [1]. » Des quatre prédicateurs ici nommés, le plus illustre et le seul dont nous puissions juger l’éloquence est Jean Gerson [2]. Ce grand docteur, la plus grande gloire de Navarre avant Bossuet, théologien et lettré, en qui s’unissait la rude subtilité du scolastique aux tendresses ardentes du mystique, âme pure et loyale parmi les corruptions et les intrigues du siècle, passa sa vie à se dévouer pour l’Université, pour l’Église, pour la France, pour le peuple, sans une pensée pour lui-même, sans autre souci que de la loi, de la justice et de la charité. Il eût voulu l’Église une et sainte, en ce temps de schisme et de scandale : en ce temps de discordes et d’oppression, le royaume paisible et prospère. Il ne s’enferma pas dans sa théologie et dans sa science latine : il crut de son devoir d’instruire tous les Français en français, de dire à tous la vérité et leur devoir dans la langue de tous. Il écrivit ; surtout il « sermonna ». Une soixantaine de ses discours nous sont parvenus dans leur forme française, sermons prononcés devant la cour entre 1389 et 1397, ou prêchés à Saint-Jean en Grève, entre 1401 et 1414, harangues ou propositions adressées au roi ou au peuple, le plus souvent au nom de l’Université, et qui ont un caractère de circonstance, une couleur politique : il faut y joindre le plaidoyer pour l’Université, véritable sermon développé en Parlement sur le texte : Estote miséricordes.

  1. Guillebert de Metz, Description de Paris, cité par V. Le Clerc, t. I, p. 413.
  2. Biographie : Jean Charlier, de Gerson (près Rethel), né en 1363, mort en 1429, boursier, puis docteur, puis chancelier de Navarre, protégé du duc de Bourgogne, enseigne et prêche jusqu’en 1397, se retire à Bruges pendant trois ans, est nomme curé de Saint-Jean en Grève à son retour vers 1401, va représenter le roi, l’église de Sens et l’Université de Paris au concile de Constance (1414) ; il vécut quelques années au couvent des Célestins de Lyon (1419-1423), et mourut le 12 de juillet 1429. Il n’y a plus lieu de s’arrêter à la conjecture qui le fait auteur de l’Imitation de J.-C. Édition : Ellies Dupin, Anvers [Amsterdam], 1706, 5 vol. in-fol. Il y a des sermons français aux tomes III et IV. — À consulter : Thomassy, Jean Gerson et le grand schisme d’Occident, Paris, 1852. L’abbé Bourret. Essai historique et critique sur les sermons français de Gerson, Paris. 1858.