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le quatorzième siècle.

fin, de vif, de charmant, une fantaisie discrète, une forme sobre ; mais une ingénuité d’opéra-comique dans les paysanneries, et partout une fausse naïveté, une adroite contrefaçon du sentiment, une grâce qui inquiète comme expression d’une incurable puérilité d’esprit. Cependant Froissart, plus souvent que Machault, donne la sensation du fini, du parfait accord de la forme et du fond.


2. LES CHRONIQUES DE FROISSART.


Mais le xive siècle est un âge prosaïque : la prose est dans les âmes, et voilà pourquoi la littérature en prose est la plus riche et la plus expressive.

L’homme en qui se résument les règnes des deux premiers Valois, avec leur violent réveil de vaine chevalerie, le spectateur enivré de toutes les folies aristocratiques du siècle, c’est Froissart : non pas le poète, mais l’historien[1]. Sa vie et son œuvre ne sont qu’une continuation, un agrandissement de la vie et de l’œuvre de Jean Lebel, chanoine de Liège, chroniqueur curieux et divertissant au service de son seigneur Jean de Hainaut [2] : jamais Froissart

  1. Biographie : Né à Valenciennes en 1337, Froissart va à Londres en 1361. Il entre dans l’Église, et s’attache à la reine Philippe de Hainaut, femme d’Edouard III. Il vient en France en 1364, visite l’Écosse en 1365. Il suit le prince Noire à Bordeaux (1366), le duc de Clarence à Milan (1368) : il voit la Savoie, Bologne, Ferrare, Rome. Après la mort de la reine Philippe (1369), il se retire à Valenciennes, rédige un premier livre, gagne la protection du duc de Brabant, Wenceslas de Luxembourg, et celle du comte de Blois, obtient la cure des Estinnes-au-Mont, près Mons (1373), revise et complète son premier livre, devient chauoine de Chimay et chapelain du comte de Blois, qu’il suit en France en 1384, 85 et 86. En 1386, on le voit à l’Écluse en Flandre, puis à Riom, en Auvergne. En 1387, rédaction du 2e livre. Vers la fin de 1388, il va visiter Gaston Phébus, comte de Foix et de Béarn, qui le retient trois mois à Orthez. Il revient par Avignon. En 1389-90, on le trouve à Riom, Paris, Valenciennes, en Hollande, de nouveau à Paris (août 1389), en Languedoc, à Bourges et en Zélande. Entre 1390 et 1392, rédaction du 3e livre. En 1392, il est à Paris ; en 1393, à Abbeville : en 1394-95, en Angleterre ; en 1395, à Chimay et Valenciennes. Dans ses dernières années, il complète son ouvrage, et écrit son 4e livre. Il meurt vers 1410. Dans le premier livre primitif, il suivait pour les années 1325-1356 la chronique de Jean Lebel, jusqu’à la retranscrire mot pour mot. Pour les guerres du prince Noir, il a utilisé la chronique rimée du héraut Chandos.

    Éditions : les Chroniques, Antoine Vérard, 1495 ; Denys Sauvage, Lyon, 1559-61, 4 vol. in-fol. ; Kervyn de Lettenhove, Bruxelles, 1870-77, 29 vol. in-8 ; Siméon Luce et G. Raynaud, t. I-IX, in-8, 1869- 1894 ; les Poésies, C. Scheler, 2 vol., Bruxelles, 1871. Mêliador, éd. Longnon, t; III, 1900.

    À Consulter : Les notices de MM. K. de Lettenhove et Siméon Luce. P. Paris, Nouvelles Recherches sur la vie de Froissart . Debidour, les Chroniqueurs, 2e série, Paris (Coll. Des classiques populaires). Boissier, Froissart restitué d’après les mss, Revue des Deux Mondes, 1er février 1875.

  2. Jean Lebel, né avant 1290, mort en 1370. Ses Vrayes Chroniques vont de 1306 à 1361. — Édition : M. Polain, 2 vol., Bruxelles, 1863.