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le quatorzième siècle.

peuple, et contribueront à donner aux études une orientation, à la pensée une forme que l’Église n’a pas souhaitées. Si bien qu’en cet âge de trouble et de misère, l’Université, sous son vêtement ecclésiastique, sous les privilèges de ses clercs et de ses docteurs, abritera la raison indépendante, pour lui permettre d’atteindre le temps où elle pourra jeter bas la défroque scolastique et se risquer hors de la rue du Fouarre ou du Clos-Bruneau.

Le xive et le xve siècle sont tristes. Les ruines apparaissent, et les germes sont cachés, surtout pour les contemporains. L’abandon, les défaillances des classes d’où l’on était habitué de recevoir une direction, le spectacle et les exemples de leur dégradation, répandent partout un matérialisme cynique, un scepticisme désolant, le culte de la force, de la ruse plus que de la force, du succès plus que de tout. Il semble que la moralité sombre, et si l’honnêteté bourgeoise, si la philosophie chrétienne ou antique la maintiennent encore dans quelques parties du xive siècle, le siècle suivant touchera le fond du nihilisme moral.

Pour hâter la décomposition de la société et de l’âme féodales, la peste noire, qui en 1348 enlève au monde connu le tiers de ses habitants, la guerre de Cent Ans, guerre étrangère, guerre civile, crises aiguës des invasions, ravages endémiques des routiers : tous les fléaux, toutes les souffrances oppressent les âmes, mais en somme les délivrent avec douleur, les arrachent à leurs respects, à leurs habitudes, à leur forme d’autrefois, remettent tout violemment dans l’indétermination, qui seule rendra possible une détermination nouvelle.

La littérature suit la destinée de la nation et l’évolution des idées. Elle se dissout ou se dessèche ; l’âme et la sève s’en retirent. Ce n’est que bois mort ou végétation stérile. En dépit de quelques noms éclatants, de quelques curieuses ou grandes œuvres, le xive siècle et le xve font un trou entre les richesses du moyen âge et les splendeurs de la Renaissance. Ni les hommes ni les œuvres ne manquent : mais, si la matière est riche pour l’historien ou pour le philologue, elle est pauvre pour le critique, qui s’arrête seulement aux œuvres littéraires, c’est-à-dire aux idées, sentiments, expériences, rêves que l’art a revêtus d’éternité. Rien n’est moins éternel que la littérature du xive siècle, tantôt expression de sentiments épuisés ou factices, tantôt forme vide et laborieux assemblage de signes sans signification, où rien n’est réel, solide et viable, pas même la langue : car ce n’est pas encore la langue moderne, et ce n’est plus la langue du moyen âge.

Le siècle, évidemment, n’est pas poétique. L’âge de l’inspiration épique, et même chevaleresque est passé. Le triste produit du