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littérature didactique et morale.

supérieure. Il n’a que mépris pour le baron « qui court aux cerfs ramages » ; mais, avec une hauteur remarquable de pensée, il ajoute que le vice est plus condamnable chez les clercs que chez « les gens laïcs, simples et nices »."

Suivre la nature, c’est la raison, et c’est la vertu. La nature prescrit, à l’homme ses besoins, et par là lui prescrit aussi ses désirs : toute passion qui va au-delà du besoin naturel est factice et mauvaise. De là vient que Jean de Meung s’emporte si âprement contre l’ambition et l’avarice : faut-il tant de tracas, d’efforts, de misères, et surtout de misères infligées à autrui, pour vivre ? Que demande donc la nature ? La bonne vie naturelle et, partant, le bonheur ne sont-ils pas à la portée de tous ? Il faut voir notre poète peindre largement, gravement, avec une sympathie chaude et joyeuse, la vie des ribauds qui « portent sacs de charbon en Grève » :

    Ils travaillent en patience,
    Et battent, et dansent, et sautent,
    Et vont à Saint-Marcel aux tripes,
    Ni ne prisent trésor deux pipes :
    Mais dépensent à la taverne
    Tout leur gain, toute leur épargne,
    Puis revont porter les fardeaux
    Joyeusement, non pas par deuil,
    Et leur pain loyalement gagnent,
    Puis revont au tonneau, et boivent,
    Et vivent si comme on doit vivre.

Jean de Meung est un des rares écrivains de notre littérature qui ne s’enferment pas dans la vie bourgeoise et l’idéal bourgeois ; il est peuple, il aime le peuple, sa vie dure, insouciante, toute à l’effort et au bien-être physiques : et c’est sans doute en grande partie par là que ce contemplateur de l’universel écoulement des apparences s’est préservé du pessimisme, où tant d’autres avant et après lui ont sombré.

Enfin la nature même, comme de toute raison, de tout droit, de tout bien, est l’unique principe de toute beauté : Jean de Meung n’est pas grand esthéticien, n’entre pas en long propos sur le beau. Cependant d’un mot il a indiqué la nature comme « la fontaine »

    Toujours courante et toujours pleine
    De qui toute beauté dérive.

C’est ce franc naturalisme qui élargit les invectives que notre bourgeois lance contre les moines. Les moines mendient : le travail est la loi de nature. Les moines font vœu de célibat : la loi