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littérature bourgeoise.

rois, des princesses, des seigneurs, ayant reçu une instruction supérieure pour le temps, aperçurent l’intérêt de ces études cléricales : des clercs ne désespérèrent pas d’être utiles à leur prochain, ou à eux-mêmes, en communiquant quelque chose de la science que jusque-là la langue latine avait dérobée à la connaissance du vulgaire. Des infiltrations, en quelque sorte, se produisirent de la littérature savante dans la littérature populaire, et l’on commença de mettre en français dès le xiie siècle toute sorte d’ouvrages didactiques, ouvrages d’histoire naturelle, de physique, de médecine, de philosophie, de morale, livres de cuisine ou de simple civilité.

Parmi les plus anciens écrits scientifiques en langue vulgaire se rencontrent un lapidaire, un bestiaire, compilations de récits merveilleux et puérils sur les pierres précieuses et sur les animaux : science plus fantastique, plus stupéfiante que toutes les aventures des chevaliers de la Table ronde. D’autres lapidaires, d’autres bestiaires suivront, attestant et le succès du genre et l’ineptie scientifique des lecteurs, d’autant plus extravagants que la description des choses naturelles s’y mêlera davantage de moralisations allégoriques.

Dès le xiie siècle aussi, le laïc ignorant pourra lire en anglo-normand la Consolation de Boèce, un des ouvrages fondamentaux, comme on sait, de la science scolastique, un de ces classiques que l’on expliquera, commentera dans les écoles jusqu’à la Renaissance [1]. On traduira plus tard l’Éthique d’Aristote.

Dès le xiie siècle encore, et même avant (car le Poème de la Passion est du xe), on fit passer en langue vulgaire tantôt par des traductions, tantôt par des imitations, tantôt, et d’abord, en vers, tantôt, et de bonne heure, en prose, les principaux récits de la Bible et de l’Évangile : au point que l’Église s’inquiéta parfois de voir les sources du dogme trop libéralement ouvertes à l’ignorance téméraire des laïcs. Elle condamnera aussi les ouvrages de théologie que David de Dinant, disciple d’Amaury de Rêne, écrivit en langue vulgaire.

Il faudrait signaler encore comme une émanation de l’esprit clérical, et comme un des moyens d’action par où les clercs modifièrent l’esprit de la société laïque, les sermons prononcés dès le ixe et le xe siècle en langue vulgaire, et dont nous aurons occasion de parler ailleurs. En dehors de ces sermons qui sont des actes du sacerdoce, nombre de clercs avec ou sans mission, de laïcs même frottés de science et chauds de zèle, prêchèrent, endoctrinèrent, exhortèrent, gourmandèrent le peuple en langue vulgaire,

  1. Elle figurera jusqu’en 1366 sur le programme de la licence.