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littérature didactique et morale.

des dits, des débats, des États du siècle ou du monde. Mais, en effet, la satire ou la moralité ne sont qu’un assaisonnement, et l’auteur ne prêche ou ne raille que pour introduire la mention des objets familiers ou des actions quotidiennes de la vie populaire. Ne prenons pas le change sur le cadre ou sur le ton : tant d’énumérations moralisées ou satiriques que nous rencontrons, ne sont qu’une forme originale de littérature réaliste, dont le caractère essentiel est de réveiller chez l’auditeur la sensation des réalités qui lui sont prochaines : et comme cette littérature s’adresse à des imaginations vierges, non blasées encore, ni réfractaires par un trop long usage à l’action suggestive des mots, les noms seuls des choses, sans descriptions, sans épithètes, sans tout le mécanisme compliqué du style intense, les noms tout secs sont puissants : le poète se contente d’appeler, pour ainsi dire, chaque objet, aussi le voilà présent, en sa concrète et naturelle image, aux esprits de ceux qui l’entendent. Si bien que toutes ces énumérations chères aux écrivains du xiiie siècle, où défilent sur le même plan, en monotone et interminable procession, toutes sortes d’objets, nous représentent comme un effort pour évoquer une partie de la vie réelle sans le mélange d’une fiction romanesque, sans le lien d’une action inventée.

Cependant d’autres dits, d’autres débats, d’autres États du siècle ou du monde, ont un caractère vraiment moral, et forment entre la poésie lyrique et la poésie narrative un corps considérable de poésie didactique. Il était impossible qu’à la longue il n’en fût pas ainsi. La littérature de langue française ne pouvait rester indéfiniment sevrée de réflexion sérieuse et de pensée philosophique, indéfiniment livrée aux hasards de la sensation et aux caprices de la fantaisie. L’esprit des laïcs ne pouvait rester indéfiniment fermé à la science des clercs.

Les laïcs étaient demeurés d’abord étrangers à ce puissant mouvement d’idées, qui du xie au xive siècle se produit dans les écoles et les couvents, et dont les résultats principaux s’enregistrent dans les grandes œuvres latines et scolastiques du xiiie siècle, le Speculum majus de Vincent de Beauvais, la Summa theologica de saint Thomas d’Aquin, l’Opus majus de Roger Bacon. Les auditeurs de Roland et des Lorrains, ceux du Jugement de Renart ou de Richeult ne s’inquiétaient guère du problème des universaux ni de savoir quel est le principe d’individuation. Leur religion les faisait jeûner et ouvrir leur bourse à l’Église ou aux pauvres, elle ne leur inspirait pas de réfléchir sur la Trinité ou sur le mode d’union de l’âme au corps. C’étaient des enfants, et qui n’aimaient qu’à entendre des histoires.

Cependant peu à peu la curiosité de ces enfants s’éveilla : des