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la littérature en formation.

mans, un vigoureux et personnel disciple de M. Zola, dont il s’est mis un beau jour à appliquer le procédé naturaliste à la peinture de la vie religieuse. Cathédrales, couvents, culte, plain-chant, dévotions mystiques, superstitions, sacrilèges, agitations de la conscience et progrès de la pénitence, M. Huysmans nous peint toutes ces choses et tous ces états avec une prodigieuse richesse de vocabulaire et d’images ; son art fougueux et brutal a conquis le public, et même l’Église, où quelques voix seulement ont exprimé des craintes sur la qualité de cette foi et la vertu de son expression[1].

Dans la multiplicité incohérente des œuvres, plusieurs directions se laissent distinguer. Le roman psychologique et le roman d’étude de mœurs continuent de subsister. Mais le roman historique a eu une renaissance brillante avec le Saint-Cendre de M. Maindron[2] (xvie siècle) et la Force de M. Paul Adam (Révolution et premier Empire) : deux restitutions minutieuses qui sont en même temps des évocations vigoureuses du passé[3]. M. Barrès aussi a fait du roman historique, mêlé de plaidoyer politique et social, dans ses Déracinés et dans son Appel au soldat ; romans historiques aussi, le Désastre avec les trois œuvres qui lui font suite de MM. Paul et Victor Margueritte, et l’Apprentie de G. Geffroy, tableaux pathétiques et navrants de la guerre de 1870 et de la Commune[4]. Mais l’espèce dominante, et à laquelle se rattachent la plupart des œuvres les plus distinguées du temps, est celle du roman social ou sociologique : les ouvrages de MM. Barrès et Margueritte que je viens de nommer y rentrent aisément. La psychologie et les tableaux de mœurs sont employés à illustrer ou a démontrer une idée sociale. M. Hervieu nous fait voir la décomposition morale de l’aristocratie (Peints par eux-mêmes) et la toute-puissance de l’argent (l’Armature). M. Prévost, après avoir étudié la corruption féminine dans les hautes classes, le mal qui détourne la femme de son vrai rôle social, s’applique à observer le féminisme et son effort pour protéger et relever la femme dans la société actuelle (les Vierges fortes). Paul Adam nous

    pour chercher les succès plus faciles du feuilleton populaire. — Nell Horn, 1886 ; le Bilatéral, 1887 ; le Termite, 1890 ; Vamireh, 1892 ; l’Indomptée, 1894 ; etc.

  1. J. K. Huysmans, Les Sœurs Vatard, 1879 ; A Rebours, 1884 ; Là-Bas, 1891 ; En route, 1894 ; la Cathédrale, 1898 ; Pages catholiques, 1899.
  2. Saint-Cendre, 1898 ; Blancador l’avantageux, 1900.
  3. Il ne faut pas oublier M. H. de Régnier dont le roman « Le bon plaisir » (1902), est une merveille de couleur et de psychologie historique (11e éd.)
  4. Gustave Geffroy, romancier, critique d’art et journaliste, est un réaliste dont la passion intérieure brûle d’autant plus qu’elle est plus contenue : sa manière nette et âpre donne à tous ses tableaux un relief saisissant. (L’Enfermé, 1897, l’Apprentie, 1904) (11e éd.).