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la littérature en formation.

rieures, par la vertu des circonstances, plutôt que par la tendance de la nature intime.

Les maîtres de l’époque précédente continuent de produire. Mais qu’ajoutent Loti et Bourget à leur définition, par leurs œuvres récentes ? Loti est éternellement le même dans des paysages et sous des costumes toujours divers. M. Bourget ne change rien à son art en changeant ses doctrines politiques et religieuses. Le renouvellement est plus sensible chez M. Zola et M. France. M. Zola, en ses derniers romans, n’est plus le témoin impassible des mœurs contemporaines : il juge, il prêche, il combat, dans ses Trois Villes, dans Fécondité et dans Travail ; il défend des thèses philosophiques et sociales[1]. C’est un article important de la doctrine naturaliste qui est changé. Pour M. Anatole France, il nous a fait comprendre, par son Histoire contemporaine[2], ce que dans sa philosophie sceptique et négative il y avait de positif, ce que son apparent dilettantisme admettait, commandait de foi et d’action ; il a révélé qu’il avait, comme Montaigne, son dogmatisme et son énergie pratique. En même temps, par contre-coup, son art s’est modifié : les grâces ondoyantes, l’ironie détachée ont fait place souvent, dans ses derniers écrits, à l’attaque directe, à la véhémence indignée ; sa phrase a pris une tension, un nerf, une âpreté qu’on n’en aurait pas attendus : les préoccupations et les passions de la lutte sociale ont élargi la facture de l’artiste.

Dans la génération suivante des romanciers, les talents distingués abondent : aucune personnalité capable de reléguer toutes les autres au second plan n’a émergé. Il faut nous contenter d’indiquer les principales physionomies d’écrivains, et les principales directions du genre. M. Maurice Barrès[3] nous a fait connaître un art subtil, obscur, tourmenté : insupportable parfois dans la culture prétentieuse de son moi, il a une puissance originale dans ses analyses d’états moraux, une délicatesse exquise dans ses impressions des paysages ; il excelle à faire tenir toute l’histoire d’un pays et la psychologie d’une race dans la description du sol. M. Rod[4], néo-chrétien, critique, moral comme un protestant et

  1. Cf. p. 1078.
  2. Cf. p. 1087.
  3. Sous l’œil des Barbares, l’Homme libre, le jardin de Bérénice, trois romans idéologiques sous le titre commun : le Culte du moi, 3 vol., 1888-1891 ; Huit jours chez M. Renan, broch., 1888 ; l’Ennemi des lois, 1893 ; Du sang, de la volupté et de la mort (voyage en Espagne), 1894 ; les Déracinés, 1897 ; l’Appel au soldat, 1900 ; Au service de l’Allemagne, 1905. — Dans ses romans sociaux et nationaux (ou nationalistes) la forme de M. Barrès s’est dépouillée de ses complications ; sans perdre de sa finesse et de son élégance, elle est devenue plus sobre, plus nette, plus forte (11eéd.).
  4. M. Ed. Rod (né en 1857) a travaillé dans le même sens que M. de Vogüé et M. Desjardins : Études et Nouvelles études sur le xixe siècle, 1888 et 1898 ; Idées