c’est du théâtre ; applaudissons. Ceci est philosophie, ou poésie, ou nature prise sur le vif ; mais ce n’est pas du théâtre : bon à siffler. Il y a un fonds de vérité dans cette doctrine, en ce qui touche la valeur de la technique, pour chaque art et pour chaque genre. Sarcey connaît comme personne la technique du théâtre français, et je crois bien qu’à peu près tout ce que savent là-dessus les hommes venus à maturité entre 1870 et 1890, ils le lui doivent.
Mais voici la première erreur : Sarcey a fini par ne plus voir que la technique, et certaine technique, celle d’une école française, de Scribe, de Dennery, de M. Sardou. Il a jugé Sophocle, Racine, Shakespeare par rapport à Scribe, à Dennery et à M. Sardou, et ne les a admirés que par ce qu’il retrouvait chez eux ou croyait retrouver de la technique qu’il aimait. Il l’a considérée comme immuable et intangible : tout ce qui ne s’y réduit pas est répréhensible. Par cette vue, il continue la critique classique, maintenant un idéal absolu pour tous les siècles et tous les pays. Et voici la seconde erreur : Sarcey a excellé-à flairer, démêler, dégager le goût du public ; au lieu de le hausser à lui, il s’y est rabaissé. Cependant il se vantait volontiers de résister au public et de combattre les succès qu’il savait injustifiés. La vérité était qu’il s’opposait aux inconséquences du public : il le blâmait de mal appliquer son critérium et de se laisser surprendre par de mauvais vaudevilles et des mélodrames mal faits ; il ne lui en voulait pas moins d’élargir son goût par une surprise d’admiration, et de se laisser parfois élever à goûter simplement, en dehors de toute habileté d’intrigue, la réalité saisissante ou la poésie profonde de la vie. Au lieu d’aider la foule à s’affranchir, il la flattait dans la médiocrité de ses goûts, il l’entretenait dans l’illusion béate qu’il n’y a rien de mieux à chercher au théâtre que les satisfactions du vaudeville et du mélodrame. Par la solidité de l’éducation universitaire, Sarcey garda jusqu’au bout l’intelligence de Corneille, de Racine, de Molière, qu’il expliquait pourtant un peu trop par Scribe. Il ferma ses oreilles aux abominations russes et scandinaves. Et il a fini par rejeter Shakespeare, qu’en sa folle jeunesse il avait presque accepté. Voilà où trente ans de pratique du théâtre, et d’auscultation trop curieuse du goût commun, ont mené un esprit des plus libres, hardis et vifs qu’il y eût. Malheureusement, par sa compétence, par son esprit, par toute sa ronde, robuste et spirituelle personne, Sarcey s’était acquis sur le public une autorité incroyable. S’il avait entrepris d’en faire l’éducation, il aurait pu faciliter l’évolution du théâtre. Il a préféré la retarder, dans la mesure où un homme peut s’opposer au cours des choses. Son jugement donnait aux gens le droit d’estimer ce dont ils s’amu-