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science, histoire, mémoires.


1. SCIENCE ET PHILOSOPHIE.


Taine, dont j’ai parlé, Renan, dont je parlerai, l’Anglais Darwin[1], qui ne m’appartient pas, voilà les trois grands modificateurs des esprits contemporains : c’est d’eux, de l’un plus, de l’autre moins, assez souvent de tous les trois tant bien que mal amalgamés et fondus, c’est d’eux que nous tenons la plupart de nos idées générales. Darwin surtout — plus mal compris à mesure qu’il était moins directement étudié — est devenu presque populaire.

Un grand nombre de traductions d’ouvrages étrangers sont devenues matières de lecture courante : avec le naturaliste Darwin, l’Angleterre nous a fourni ses philosophes, Stuart Mill, Herbert Spencer, Alexandre Bain[2]. De l’Allemagne, nous avons connu surtout, de première ou de seconde main, le matérialisme scientifique de Büchner[3], l’évolutionnisme systématique de Hæckel ; le pessimisme de Schopenhauer nous a conquis ; et M. de Hartmann a mis pour un temps l’inconscient à la mode. Et voici que commence le règne de Nietzche, destructeur du kantisme, du christianisme, et restaurateur de la vraie morale par le culte irréfréné du moi.

Mais rentrons en France. Nos savants se sont, en général, rigoureusement renfermés dans les études spéciales, et n’ont pas cherché à élargir leur popularité par la séduction des hypothèses générales et des vastes perspectives systématiques. Des plus fameux, comme M. Pasteur, on sait les travaux, mais on n’a rien à lire. Cuvier, Arago s’étaient, dans la première moitié du siècle, fait une réputation, comme autrefois Fontenelle, par les éloges académiques : le genre a passé de mode, ou bien leurs dons d’exposition littéraire n’ont pas passé à leurs successeurs. C’est l’intérêt philosophique des idées qui a donné accès à quelques écrits scientifiques auprès des hommes que la chimie ou l’histoire naturelle n’intéressent pas par elles-mêmes ; telles pages[4], par exemple, qui précisent sur certains points la conception qu’un homme de notre âge peut se former de

  1. Charles Darwin (1809-1882) ; De l’origine des espèces par voie de sélection naturelle (Londres, 1858 ; trad. De Mlle Royer, 1862). La Descendance de l’homme et la sélection sexuelle (trad. Par J.-J. Moulinié, 1872). Vie et Correspondance, publ. p. son fils Fr. Darwin, trad. 1888, 2 vol. in-8.
  2. Stuart Mill : Logique, Principes d’économie politique, Auguste Comte et le positivisme. — Herbert Spencer : Premiers principes ; les Bases de la Morale évolutionniste ; Introduction à la science sociale ; Justice. — Bain : la Science de l’éducation.
  3. Büchner : Force et matière. — Hæckel : Histoire de la création des êtres organisés d’après les lois naturelles ; Anthropogénie. — Schopenhauer : le Monde comme Volonté et comme Représentation (trad. Burdeau, 3 vol. in-8, 1888-90). — De Hartmann : la Philosophie de l’Inconscient.
  4. Berthelot, Préface de la Synthèse chimique.