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le naturalisme.

cite Horace, gourmand et polisson après les affaires faites, cette excellente Mme Guérin, vulgaire, effacée, humble, finissant par juger le mari devant qui elle s’est courbée pendant quarante ans, cet inventeur à demi fou et férocement égoïste, qui sacrifie sa fille à sa chimère, ces trois figures sont posées avec une étonnante sûreté ; Guérin surtout est peut-être le caractère le plus original, le plus creusé que la comédie française nous ait présenté depuis Molière : Turcaret même est dépassé.


3. M. ALEXANDRE DUMAS FILS.


M. Alexandre Dumas[1] était encore tout imprégné de romantisme, lorsqu’il débuta en 1852 par la réhabilitation de la courtisane, dans la Dame aux Camélias : c’est l’idée même de Marion de Lorme. Il sembla changer de voie quand il donna le Demi-Monde, étude réaliste de certaines parties gâtées de la société. La contradiction des deux œuvres n’est qu’apparente ; si l’auteur semble changer de principe, c’est que les espèces ne sont pas les mêmes : l’amour absent dans un cas, présent dans l’autre, détermine la sévérité ou l’indulgence de l’auteur. M. Dumas me semble n’avoir jamais répudié la moralité de sa première œuvre : comme j’y retrouvais Marion de Lorme, je retrouverais dans les Idées de Madame Aubray quelque chose des Misérables, la thèse même qu’implique l’histoire de Fantine. Cette thèse restera une des idées fondamentales de l’œuvre de M. Dumas. Mais au romantisme sentimental des premiers temps s’est substituée en lui une austérité évangélique d’un goût singulier, qui s’est épanchée surtout en éloquentes préfaces.

M. Dumas est un moraliste visionnaire, qu’obsède et qu’enfièvre la décomposition sociale qui résulte de la mauvaise organisation de la famille. Il s’est donné pour tâche de reconstituer la famille, sur l’égalité, la justice, et l’amour. Il attaque l’argent comme viciant l’institution du mariage ; il attaque les mœurs qui

  1. M. A. Dumas (1824-1895), fils du fameux dramaturge et romancier, a commencé par des romans. Il a publié aussi diverses brochures sur les questions morales et sociales. Comédies : la Dame aux Camélias (1852) ; le Demi-Monde (1855) ; la Question d’argent (1857) ; le Fils naturel (1858) ; le Père prodigue (1859) : l’Ami des Femmes (1864) ; les Idées de Mme Aubray (1867) ; la Visite de Noces (1871) ; la Princesse Georges (1871) ; la Femme de Claude (1873) ; Monsieur Alphonse (1873) ; l’Etrangère (1876) ; la Princesse de Bagdad (1881) ; Denise (1885) ; Francillon (1887).

    Edition : Théâtre complet, Calmann Lévy, 7 vol. in-18 ; Théâtre des autres (pièces refaites par M. Dumas), t. I et II, 1891-95. — À consulter : P. Bourget, Essais de psychologie contemporaine.