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le naturalisme.

tique, enveloppant quelque thèse morale dans une peinture exacte des mœurs contemporaines, une comédie émouvante et réaliste, qu’influençait fortement le voisinage du roman de Balzac.

Deux noms caractérisent de 1850 à 1880 ou 1885 l’évolution de la comédie : les noms de MM. Augier et Dumas. Si l’on n’écoutait que le bruit des succès, il faudrait leur joindre M. Sardou[1]. Mais ce vaudevilliste éminent, à qui n’a pas manqué une verve amusante, encore qu’un peu grosse, de caricaturiste[2], n’a apporté dans la pièce sérieuse que le goût des effets qui forcent l’applaudissement, le génie des trucs et des ficelles. Peinture des mœurs, description des caractères, invention du pathétique, tout est machiné, artificiel, « insincère », dans ces œuvres dont le brillant déjà s’écaille de toutes parts. Elles jouent à la grande comédie, et l’on n’y sent rien qu’un faiseur qui spécule sur la vulgarité intellectuelle et morale de son public, sans donner d’autre but à son art que de faire cent ou deux cents fois salle comble. Nous nous en tiendrons aux vrais artistes, à MM. Augier et Dumas.

Émile Augier[3] a fait des pièces en vers et des pièces en prose : celles-là sont la partie morte de son œuvre. Augier, esprit solide et bourgeois, fait le vers en bon élève de Ponsard, qui serait nourri de Molière ; son style poétique a quelque chose de lourd, de pénible, rien du poète. Mais sa prose est ferme, nette, toute pleine de pensée et chaude de sincérité. C’est par son œuvre en prose qu’il faut le mesurer, non par l’éloquence gauche de l’Aventurière (1848) ou les grâces vieillottes de Philiberte (1853).

Augier est un bourgeois : et son théâtre exprime les idées d’un bourgeois de 1850, qui aurait l’âme saine, sens droit, volonté ferme, moralité intacte. Le romantisme d’abord le révolte : il démasque dans Gabrielle (1849) la fausseté de l’idéal romantique, le danger de la passion effrénée et souveraine. Aux sentimentalités issues du romantisme, aux réhabilitations hypocritement ou naïvement attendries de la courtisane, il oppose le Mariage d’Olympe (1855). Mais ce n’est pas pour mettre à l’aise le matérialisme bourgeois qui fait passer l’intérêt et l’argent avant tout : contre ce qu’on pourrait appeler le scribisme, contre l’immoralité décente des classes moyennes, il maintient la nécessité de fonder le mariage sur l’amour. La dot devient la misère des jeunes

  1. M. Victorien Sardou (né en 1831) a donné sa première pièce en 1834. Principales pièces : Nos Intimes (1861) ; la Famille Benoiton (1865) ; Séraphine (1868) ; Patrie, drame (1869) ; la Haine, drame (1875) ; Daniel Rochat (1880) ; Fédora. — Éditions : Calmann Lévy, in-18. (Pièces séparées ; celles des dernières années, non imprimées.)
  2. Rabagas (1872) ; Oncle Sam (1875) ; Divorçons (1883), etc.
  3. Émile Augier (1820-1989), né à Valence (Drôme), fit jouer en 1844 la Ciguë. Les Fourchambault (1878) sont sa dernière œuvre. — Édition : Calmann Lévy, 7 vol. in-18. — À consulter : P. Morillot, Émile Augier, 1901.