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poésie lyrique.

jours divers des lieux communs toujours les mêmes. Telle qu’elle devint trop vile, avec sa technique compliquée et sa froide insincérité, avec l’insuffisance esthétique de son élégance abstraite et de sa banale distinction, que réparait la nature d’une langue chaude et sonore, la poésie provençale n’en avait pas moins un grand prix : c’était la première fois, depuis les Romains, que la poésie était un art, que le poète concevait un idéal de perfection formelle, et se faisait une loi de la réaliser en son œuvre.

Une autre nouveauté, et non moins considérable, c’était l’amour courtois. Don libre et gratuit, irréductible comme tel à la forme d’un devoir, l’amour est le bien souverain, principe, effet et signe de toute noblesse et de toute valeur. Il ne veut se donner qu’à la perfection, et il donne la perfection. Il ne peut naître que pour un objet excellent et dans un sujet excellent. Toute vertu y est enclose. L’amant à genoux, humble, dévot, ardent, reçoit la vie ou la mort de sa dame : il désire l’honneur et le bien de sa dame plus que sa vie propre : il a assez de bonheur, s’il aime : il est joyeux de souffrir, et accroît son mérite en souffrant. Il espère et désire, mais comme le chrétien espère ou désire le ciel, sans en faire le motif de sa dévotion.

Si on analyse le contenu de cette forme originale de l’amour dont les Provençaux ont enrichi la littérature, elle repose sur l’idée de la perfection conçue comme s’imposant à la fois à l’intelligence et à la volonté, devenant fin en même temps que connaissance, et sur la préférence désintéressée qui fait que le moi subordonne son bien au bien de l’objet aimé, selon l’ordre des degrés de perfection qu’il découvre en soi et dans l’objet. Ainsi les éléments intellectuels et moraux dominent dans l’amour courtois. Il n’est pas difficile de supposer que, l’identité des mots aidant, l’amour chrétien, aspiration éperdue vers le Dieu infini et parfait, désir affiné et subtilisé par le sentiment du néant de l’âme amoureuse devant l’incompréhensible objet de l’amour, ce sentiment de tendresse mystique a fourni le type de la dévotion galante de l’amant à sa dame.

« L’amour est une grande chose, un grand bien, qui rend tout fardeau léger… L’amour pousse aux grandes actions, et excite à désirer toujours une perfection plus haute… Rien n’est plus doux que l’amour, rien n’est plus fort, ni plus liant, ni plus large, ni plus doux, ni plus plein, ni meilleur an ciel ni sur la terre… L’amour vole, court, il a la joie. Il est libre et ne peut être retenu… L’amour surtout n’a pas de mesure, et s’exalte dans une ardeur sans mesure… L’amour ne sent point le poids ni la peine, il veut plus que sa force, et n’allègue jamais l’impossibilité, et se croit tout possible et tout permis… L’amour veille ; en dormant même il veille… Celui qui aime, sait la force de ce mot… On ne vit point