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poésie lyrique.

posait essentiellement de couplets et de refrains : selon l’agencement de ces deux parties, la reprise plus ou moins fréquente du refrain, et la distribution des vers qu’il enferme, il se forma différents genres, rondets, ballettes, virelis [1], d’où sortiront à la fin les poèmes à forme fixe du xive siècle, rondeaux, ballades et virelais. Il se forma d’autres genres selon la forme choisie, et selon la nature des accessoires employés pour particulariser le thème général : la séparation des amants, avertis du lever du jour par l’alouette, et plus tard par le veilleur, constitua l’aube, la rencontre d’un chevalier et d’une bergère, qui souvent le refuse et parfois l’accepte, forma la pastourelle, dont les rythmes furent particulièrement vifs et gracieux. Il n’est pas sûr que ces deux derniers genres n’aient pas été importés du Midi au Nord : cependant la réalité a pu en fournir les thèmes, comme ceux des chansons à danser et des romances.

Il y eut aussi des chansons qui s’adressaient aux hommes et en traduisaient les sentiments : une chanson de croisade présente le plus ancien exemple qu’on ait des rimes enlacées [2]. Elle fut composée avant 1147, pour la seconde croisade. La pièce est curieuse, plus oratoire que lyrique, avec plus de raisonnement que de passion, et un emploi significatif du lieu commun moral :

    Comtes ni ducs ni les rois couronnés
    Ne se pourront à la mort dérober :
    Car, quand ils ont grands trésors amassés,
    Plus il leur faut partir à grand regret.
    Mieux leur valut les employer à bien :
    Car quand ils sont en terre ensevelis,
    Ne leur sert plus ni château ni cité.

Avec cette strophe et la pièce qui la contient ce sont les idées générales qui font leur entrée dans notre littérature : nous mettons le pied dans la voie qui mène à Malherbe.

Que serait-il sorti de ces premiers essais de notre poésie lyrique ?

  1. Voici les formules principales de tous ces genres : les majuscules désignent les refrains ; les minuscules correspondantes aux majuscules indiquent des vers construits par les mêmes rimes que les refrains. Chansons de toile : aaaB, aaaBB ; moins anciennement, aaabB, aaabAB ; etc. – Chansons à danser : aaabCB, aaabAB, etc. « La forme la plus habituelle était un couplet monorime suivi d’un refrain qui y était rattaché d’une façon quelconque : le nombre des couplets était indéterminé. » — Rondets : aAabAB (cf. la chanson citée p.79). Le refrain était chanté au début de la pièce ; le nombre des couplets est indéterminé. – Ballettes : 3 couplets, suivis de refrains : refrains chantés au début de la pièce : ababbcCC ; abababaACA ; etc. L’entrelacement des rimes est emprunté aux chansons savantes. – Virelis : tient du rondet et de la ballette : ABccabAB.
  2. On la trouvera dans Crépet, t. I, p. 38.