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la critique.

nantes biographies d’âmes. Sa critique est purement réaliste, d’une grande valeur artistique, par l’expression des caractères individuels, d’une insignifiante portée scientifique, parce qu’il n’y a pas de science de l’individu.


2. TAINE.


Hippolyte Taine[1] a été le théoricien du naturalisme, et en général de la littérature à intentions ou prétentions scientifiques. Son influence, depuis 1865 environ, a été immense. Son œuvre se distribue en trois masses principales : philosophie, critique, histoire.

Le livre de l’Intelligence parut en 1870 : il y avait vingt ans que Taine l’avait dans la pensée. C’est un puissant effort pour faire de la psychologie une science, dans toute la rigueur du mot. Je n’ai pas à discuter ni même à exposer la valeur philosophique de ce système original, où Taine, utilisant et dépassant certaines théories de Condillac et des philosophes anglais contemporains, Stuart Mill, Bain, Spencer, réduisait l’esprit à être « un flux et un faisceau de sensations et d’impulsions, qui, vus par une autre face, sont aussi un flux et un faisceau de vibrations nerveuses[2] », faisait de la faculté d’abstraction l’unique faculté qui distingue l’intelligence humaine de l’intelligence des animaux, et engendrait toutes les idées, l’idée même du moi, par une série d’opérations d’abstraction. Je ne veux ici qu’indiquer les points saillants ou simplement apparents qui saisirent l’attention des littérateurs, des artistes, du public cultivé, et par lesquels, à l’exclusion du reste ou à peu près, s’exerça l’influence du système hors de la philosophie.

La méthode d’abord, sévèrement expérimentale : « de tout petits faits bien choisis, importants, significatifs, amplement circonstanciés et minutieusement notés, voilà aujourd’hui la matière de toute science[3] ». Et voilà l’origine du document humain : de là les

  1. Biographie : H. Taine (1828-1893), né à Vouziers, entre à l’École Normale en 1848, professe peu de temps, étant très suspect pour ses opinions philosophiques. Outre les ouvrages que je nomme ci-dessous, il a écrit son Voyage aux Pyrénées (1855), ses études sur les Philosophes français du xixe siècle (1855-56), sa Vie et opinions de Thomas Graindorge (1863-65), ses Notes sur l’Angleterre (1872).

    Éditions : Hachette, in-18 : De l’Intelligence, 2 vol ; Histoire de la Littérature anglaise, 5 vol. ; Philosophie de l’art, 2 vol. ; Essais de critique et d’histoire, 1 vol. ; Nouveaux Essais, 1 vol. ; Origines de la France contemporaine, 7 vol. in-8 (Ancien Régime, 1 vol ; Révolution, 3 vol. ; Empire, 2 vol.) ; Derniers Essais, 1894 ; Carnets de voyage, 1896.

    À consulter : F. Brunetière, Évolution de la critique, 9e leçon ; G. Monod, Renan, Taine, Michelet, 1894, in-18 ; Am. De Margerie, H. Taine, Paris, 1984, in-8 ; E. Giraud, Essai sur Taine, son œuvre et non influence, 1901 ; E. Faguet, Politiques et Moraliste, 3e série ; Aulard, Taine historien de la Révolution française, 1907.

  2. Préface de l’Intelligence.
  3. Ibid.