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publicistes et orateurs.

budgets, se découvraient les fautes politiques de l’Empire. Son expérience diplomatique, ses prétentions militaires, son réel patriotisme lui faisaient dénoncer dès 1864 l’imprudence d’un gouvernement qui laissait grandir la Prusse et n’avait pas d’armée. Jusqu’en 1870 il ne cessa de prophétiser sans être cru. Après le désastre, il lui suffit de s’attacher à sa place, pour réduire à l’impuissance les minorités monarchiques ; il lui suffit de rester le président de la République, pour fonder la république : quand il se retira (le 24 mai 1873), il était trop tard, l’heure d’une restauration avait passé. Dans ce rôle encore, il fut admirable de souplesse, de netteté d’esprit, d’éloquence dans toutes les occasions qu’il eut de parler ou d’écrire.

Jules Favre[1], Lyonnais, républicain dès 1830, avocat des procès politiques de la monarchie de Juillet, démocrate un peu incohérent dans la seconde République, défenseur d’Orsini[2], rentra au Corps législatif en 1858. Orateur ardent, parlant une belle langue, étoffée, ample, ferme, correcte, il fut le chef de l’opposition. La déconsidération profonde que la lointaine expédition du Mexique jeta sur le gouvernement, est due en grande partie à l’éloquence passionnée de Jules Favre, qui pendant quatre sessions ne laissa passer aucune faute, aucun scandale de cette malheureuse entreprise. Chrétien, mystique, sentimental, il laissait parfois déborder dans son éloquence des effusions un peu troubles ; il n’évitait pas toujours la déclamation ni le pathos, lorsqu’il se laissait aller à son émotion. Ce grand orateur fut dix ans dans le Parlement de la troisième République, sans éclat, sans crédit, sans récompense.

Un procès politique fit connaître Gambetta[3] tout à la fin de l’Empire ; c’était un fougueux méridional, à la parole éclatante et large, très avisé, très intelligent, très maître de sa volonté, capable de voir plus haut que les intérêts et les haines de parti : un véritable homme d’État. Je laisse son grand rôle dans la guerre de 1870 : l’orateur seul nous appartient. Il disciplina le parti républicain, en calma les impatiences, lui imposa la confiance en M. Thiers. Il

  1. Biographie : Jules Favre appartint au barreau de Lyon de 1831 à 1836. De 1848 à 1851, il vota tantôt avec la droite, tantôt avec la gauche. Député de Paris en 1858, de Lyon en 1863 (élu aussi à Paris), de Paris en 1869. Membre du gouvernement de la Défense Nationale en 1870. Il meurt en 1880, sénateur. — Éditions : Discours parlementaires, 4 vol. in-8, 1881 ; Plaidoyers politiques et judiciaires, in-8, 1882, Plon et Cie.
  2. Italien, qui avait jeté une bombe sous la voiture de l’empereur.
  3. Biographie : Léon Gambetta (1838-1882), de Cahors, plaide en 1868 pour Delescluze ; élu député en 1869 à Paris et à Marseille. Membre du gouvernement de la Défense Nationale en 1870, chef de la délégation de Tours. Président du conseil en 1881. — Édition : Discours et plaidoyers politiques, Charpentier, 11 vol. in-8, 1881-85. P. B. Gheusi, Gambetta par Gambetta (Lettres), 1909.