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l’histoire.

Les œuvres originales ne se firent pas attendre. Dès le premier moment, deux courants se distinguent dans le genre historique : les uns s’appliquent à dégager la philosophie de l’histoire ; et ne sont en somme que les continuateurs du xviiie siècle, de Montesquieu et de Voltaire ; les autres s’efforcent de ressusciter la forme du passé, de représenter les mœurs et les âmes des générations disparues ; ceux-ci sont la lignée de Chateaubriand, proches parents de lyriques. Les deux rénovateurs des études historiques en notre pays, Thierry et Guizot, représentent ces deux tendances : Guizot, plus philosophe, opère sur des idées ; Thierry, plus imaginatif, essaie d’atteindre les réalités.


1. LE PASSAGE DE L’IDÉE A LA VIE : THIERRY.


Lorsque Augustin Thierry, en 1817[1], donna au Censeur Européen et au Courrier Français ses premières études sur l’Histoire d’Angleterre et sur l’Histoire de France, il avait de grandes ambitions philosophiques : il prétendait trouver la loi suprême, unique, du développement national de chaque peuple[2]. Il esquissait l’histoire de l’Angleterre depuis l’invasion normande au xie siècle jusqu’à la mort de Charles Ier, et « la révolution de 1640 s’y présentait sous l’aspect d’une grande réaction nationale contre l’ordre des choses établi six siècles auparavant, par la conquête étrangère ». Quand il abordait l’histoire de France, il voyait dans l’affranchissement des communes « une véritable révolution sociale, prélude de toutes celles qui ont élevé graduellement la condition du Tiers État » : remontant plus haut, il crut trouver dans l’invasion franque « la racine de quelques-uns des maux de la société moderne : il lui sembla que, malgré la distance des temps, quelque chose de la conquête des barbares pesait encore sur notre pays, et que des souffrances du présent on pouvait remonter, de degré en degré, jusqu’à l’intrusion d’une race étrangère au sein de la Gaule, et à sa domination violente sur la race indigène » Ainsi, occupé à chercher des armes « contre les tendances réactionnaires du gouvernement », Thierry ne voulait encore que faire l’histoire

  1. Il a précédé Guizot et Villemain ; il est le premier. — Augustin Thierry (1795-1856), au sortir de l’École normale, fut quelque temps saint-simonien. Plus tard il fut lié avec Auguste Comte.

    Éditions : Hist. de la conquête de l’Angleterre par les Normands, 1825, 3 vol. in-8, dern. éd. préparée par l’auteur, 1858 ; Lettres sur l’histoire de France (10 publiées en 1820 dans le Courrier Français), 1827, in-8, Dix Ans d’études historiques (presque tout a paru dans le Censeur Européen, le Courrier Français et ailleurs, de 1817 à 1827), 1834, in-8 ; Récits des Temps mérovingiens, 2 vol. in-8, 1840 ; Essai sur l’histoire de la formation et des progrès du Tiers État, 1853, in-8.

  2. Préface de Dix Ans d’études historiques Cf. aussi la Préface des Lettres sur l’Histoire de France.