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le roman romantique.

dans la désastreuse retraite, il se présente chaque jour à son chef dans la tenue la plus correcte, n’ayant jamais omis de faire sa barbe. Avec son sang-froid, il garde ses curiosités de psychologue, dont nul péril, nulle fatigue ne le détournent : il observe, dans les deux armées, les soldats des diverses nations pour y saisir les caractères propres à chacune.

La préoccupation principale de Stendhal, dans son œuvre littéraire, se rattache à ce goût de l’action et de la volonté. Classique de discipline comme il était, il sort du xviiie siècle, par son horreur de l’atonie où deux cents ans de politesse et de mœurs de salon avaient réduit les âmes. Il voyait distinctement cet effet, et c’est lui qui a fourni à Taine l’idée de l’Ancien Régime : par la vie mondaine, le ressort de l’énergie a été si bien détruit que la noblesse s’est trouvée, en 1792, incapable d’une résistance active : elle n’a su que mourir avec une grâce passive. En 1789 et en 1825, il n’y a d’énergie que dans le peuple : la justification de la Révolution est là, et la condamnation de la Restauration. Car il aime l’énergie plus que tout. Ainsi s’explique le culte qu’il a voué à Napoléon : Napoléon représente à ses yeux la plus grande somme d’énergie qu’il lui ait été donné de voir ramassée dans un individu. Les héros qu’il expose sont à l’ordinaire des natures énergiques, qui ont suivi leur volonté jusqu’au crime. M. Faguet reproche à Stendhal de confondre l’énergie volontaire avec la passion impulsive qui en est tout juste le contraire : il a tort, je crois. Car cette apparente confusion repose sur une fine observation : ces passions brutales ou forcenées dont il nous étale les effets dans l’Italie du xvie siècle, c’est bien de l’énergie, non pas de l’énergie volontaire, si l’on veut, mais de l’énergie apte à devenir énergie volontaire. Le réservoir des forces qu’emploie la volonté est dans la sensibilité : la volonté maîtrise et manie l’impulsion, mais, l’impulsion défaillant, la volonté n’a plus où s’exercer.

L’étude de l’énergie est l’âme des romans de Stendhal : mais sous cette idée maîtresse il a saisi, expliqué bien des caractères individuels et divers états sociaux.

Il a aimé passionnément l’Italie : dans son passé et dans son présent. Il a voulu qu’on mit sur sa tombe : Henri Beyle, Milanais. Le secret de cette sympathie, c’est peut-être la place que l’amour — toutes les qualités d’amour — tient à ses yeux dans la vie italienne : c’est surtout que le tempérament italien lui semble plus impulsif, plus énergique que le français. Voilà pourquoi il a souvent traité des sujets italiens.

L’une de ses deux œuvres maîtresses, la Chartreuse de Parme, est presque entièrement une étude de l’âme et de la vie italiennes. À peine touche-t-elle à la France par le fameux récit de la bataille