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le roman romantique.

fidèlement l’impression des choses. Intelligente et fine, elle saisit les dessous des actes, les mobiles, les passions et les réactions internes. Sans affectation de profondeur, elle a des analyses pénétrantes, comme, sans jouer à l’artiste, elle sait esquisser de pittoresques silhouettes. George Sand a plus de psychologie que Balzac.

Voilà comment à côté des fantaisies furibondes du lyrisme, dans Indiana, dans Jacques, on rencontre soudain des coins de réalité prochaine et précise, une figure, une scène, un bout de dialogue ou de description, qui donnent la sensation de la vie telle qu’elle est. Dans les romans de sa vieillesse, les dénouements, et toutes les pièces de sentiment ou d’intrigue qui servent à les faire sortir, portent la marque de l’optimiste illusion de l’auteur : mais les données, et leur développement, jusqu’à ce tournant qui va les rabattre vers la fin souhaitée, sont souvent d’une fine exactitude. Ainsi, dans Jean de la Roche, cette famille anglaise : le père, un savant, doux, distrait, ayant peur de vouloir ; le fils, un enfant intelligent, débile, égoïste, despote, et la sœur sacrifiée à ce malade, qui est jaloux d’elle, l’empêche de se marier, et confisque sans scrupule toute cette existence : dans le Marquis de Villemer, la peinture d’un amour réciproque qui naît insensiblement, se révèle par de fines nuances jusqu’à devenir une ardente passion : voilà des parties vraies et bien vues.

Un mérite de George Sand, et qui tient à sa facilité même, c’est qu’elle n’emprisonne pas ses caractères dans des formules : elle les laisse ondoyants, inachevés, capables de se compléter et de se compliquer ; en sorte que, par la négligence de sa composition, elle imite plus exactement le perpétuel devenir de la vie. Elle a su faire des personnages qui évoluent, dont le caractère se défait et se refait. Voyez dans Mauprat la peinture de ce brigand qui se civilise comme un cheval qu’on dresse, cent fois cabré et ruant, doux à la fin et soumis. Étant femme, elle a évité l’ordinaire écueil des romans et du théâtre, la jeune fille ; elle est sortie des formules banales et convenues. Ses jeunes filles sont plus nuancées, plus compliquées, et — malgré leur idéale perfection — plus finement vivantes que les imaginations d’hommes ne savent les faire.

Elle est aussi un des rares écrivains qui aient su peindre le grand monde : elle en était, elle en avait la tradition par sa grand’mère Mme  Dupin. Elle en a le ton, les manières, l’esprit, quand il faut que ses personnages les aient. Mais hors de la nécessité du dialogue, elle n’est mondaine que par l’exquise distinction de son style naturel. Elle est toute bonne, toute sensible, rêveuse, enthousiaste, « bête », comme elle disait ; elle ne se plaît nulle part