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l’époque romantique.

qui a traversé la société et la littérature après 1830, et surtout entre 1840 et 1850. Mais ces idées manquent d’originalité et de précision : ce ne sont que des reflets, et de vagues reflets, dont la générosité intime de l’âme de George Sand s’enchante aux dépens souvent de la perfection littéraire.

La faculté la plus forte de George Sand, c’est l’imagination, et elle en a toutes les formes, toutes les qualités, de la plus vulgaire à la plus fine. Elle s’est complu parfois aux combinaisons mélodramatiques, fantastiques, qui ont l’intention d’être terrifiantes ou merveilleuses, et qui ne sont aujourd’hui que déconcertantes et ridicules. Mais ce n’est pas dans l’intrigue à l’ordinaire qu’elle met l’intérêt de ses romans. Théories à part, elle est curieuse surtout des âmes et de la vie.

On l’oppose ordinairement à Balzac, comme l’idéalisme au réalisme ; mais cette antithèse, ainsi que beaucoup d’autres du même genre, est fausse dans ses deux termes. De même qu’il y a en Balzac autre chose qu’un réaliste, ainsi George Sand ne s’est pas confinée dans le pur idéalisme. Sans doute, dans les deux premières périodes de sa vie littéraire, le parti pris dogmatique, la foi romantique ont souvent faussé sa vue, et déformé les personnages que la réalité lui présentait. Sans doute aussi, dans les deux autres périodes, son optimisme féminin, son besoin d’aimer les gens dont elle disait l’histoire, lui ont fait peupler ses romans d’êtres plus généreux, de passions plus nobles, de plus belles douleurs qu’on n’en rencontre selon la loi commune de l’humanité ; elle forme des idées de pures ou hautes créatures sur qui sa large sympathie puisse se reposer sans regret.

Cependant elle sait que les modèles dont son art a besoin sont dans la vie ; elle professe que, pour trouver des sujets de roman, il n’y a qu’à regarder autour de soi ; elle prend son point de départ dans la réalité. Mais elle ne s’astreint pas à la suivre ; elle s’en éloigne insensiblement par le développement des situations et des caractères ; et c’est encore une raison qui fait que ses commencements sont souvent ce qu’il y a de meilleur dans ses œuvres ; ils retiennent plus de réalité et de vie. Il arrive aussi que ses héros, ses personnages de premier plan sont plus vaporeux, plus insubstantiels — plus faux, pour parler brutalement — que les comparses et caractères accessoires : c’est qu’elle embellit, et déforme les types réels, selon l’intérêt, la sympathie qu’ils lui inspirent. Elle laisse les personnages secondaires tels qu’elle les a observés.

Elle ne se pique pas d’observation scientifique : Mme  Sand a su éviter toutes les poses littéraires ; elle a fait simplement, avec bonhomie, son œuvre d’écrivain, sans plus d’embarras que si elle eût raccommodé du linge. Mais elle voit juste, et son œil retient