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le théâtre romantique.

bien vieilli, et poussé au mélodrame : les caractères historiques, dont les originaux sont trop voisins et trop connus, sont d’une fausseté choquante ; les intentions sentimentales et philosophiques jurent avec la date et le costume du sujet ; les inventions pathétiques sont outrées et grimaçantes ; le style est trop appliqué et ronflant, de qualité médiocre au fond sous l’éclat travaillé des images. C’est l’œuvre la plus manquée d’Alfred de Vigny.

La Chronique de Charles IX (1829), d’une facture sobre et serrée, a gardé une couleur plus fraîche : c’est d’un homme qui a le sens de l’archéologie, qui sait la valeur et l’emploi du petit fait unique, documentaire, apte à représenter toute une série. Mais nous retrouverons ailleurs Mérimée.

L’œuvre maîtresse de la grande époque romantique, en ce genre, c’est Notre-Dame de Paris (1831). Le roman est bourré de digressions, de dissertations, où l’auteur s’étale sur tous les sujets qui l’intéressent autour et à propos de son sujet : cette composition est caractéristique du goût romantique : et par là, comme par tant d’autres aspects de son génie, V. Hugo est le romantisme incarné. L’histoire est mince et quelconque, très factice en même temps dans sa contexture : une bohémienne aime un beau capitaine, est aimée d’un prêtre sombre et d’un grotesque difforme. Ce sont les épisodes et les tableaux qui font l’intérêt du livre : il faut y voir comme une suite d’estampes, où sont rendues, avec de saisissantes oppositions de blanc et de noir, des scènes tour à tour amusantes, fantastiques ou terribles. Les individus sont peu vivants, d’essence banale, tout en surface, et, si l’on peut dire, en silhouette : mais ces silhouettes sont souvent d’une précision pittoresque qui charme. Plus vivantes sont les foules, les foules populaires surtout, le grouillement des gueux et des truands : plus vivante est la ville même, le Paris du xve siècle, noir, infect, fourmillant, curieusement ressuscité dans sa topographie compliquée et dans sa physionomie bizarre. Mais vivante surtout est la cathédrale dont l’ombre couvre la ville ; Notre-Dame de Paris est le seul individu qui ait vraiment une âme dans le roman ; ce monstre terrible et séduisant, où le poète a saisi un « caractère », est le vrai héros de l’œuvre. En somme, psychologie nulle, drame insignifiant, tableaux curieux, art original et puissant, vision presque hallucinatoire du vieux Paris et de son immense cathédrale, voilà ce que V. Hugo nous présente dans un roman qui peut-être n’est pas une restauration certaine, mais qui du moins est une évocation prestigieuse.

Le Rouge et Noir (1831), la Chartreuse de Parme (1839) et diverses Nouvelles de Stendhal, quelques romans de Balzac et de George Sand se rattachent par certains côtés au genre du roman histo-