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l’époque romantique.

s’éteint : jusque-là on avait plutôt étudié l’éveil et les lents progrès de la passion. Rien de plus classique que ce roman à deux personnages, où les sobres indications de cadre et de milieu laissent la crise morale s’étaler largement. Mais Adolphe et Ellénore, c’est B. Constant et Mme de Staël ; et s’il a eu la délicatesse de ne pas faire d’Ellénore un portrait cruellement applicable, il n’a pas essayé de peindre un autre que lui-même dans Adolphe. Par-là, ce roman est à la vie sentimentale de l’auteur exactement dans le même rapport que René pour Chateaubriand ou Delphine pour Mme de Staël. L’art et le talent restent classiques.

Sous le débordement de l’invention romantique, les principales directions du genre vont subsister : le roman individualiste va se charger de lyrisme ; le roman analytique et objectif se maintiendra cependant, et le roman de mœurs se réveillera. Mais à la première heure, une nouvelle forme du roman s’épanouira, qui semblera devoir éclipser ou étouffer toutes les autres : c’est le roman historique.


1. ROMAN HISTORIQUE : V. HUGO.


Le roman historique n’avait jamais été tenté chez nous : je ne puis appeler de ce nom les contrefaçons de l’histoire, les simples falsifications de faits que l’on avait parfois essayées[1]. Avec les romantiques, l’intérêt passe des faits aux mœurs, à la couleur : de récit apocryphe le roman historique devient ou prétend devenir peinture exacte, évocation : c’est l’éveil du sens historique.

Les restitutions de mœurs lointaines et de civilisations disparues faisaient souvent éclater l’étroitesse de la forme dramatique : nos romantiques se trouvèrent plus à l’aise dans la forme indéterminée du roman, qui se resserrait ou s’étendait selon la matière ou la fantaisie. Ils furent d’autant plus ardents à se porter vers ce genre que W. Scott venait de lui donner en Angleterre un incomparable éclat.

Les romans historiques pullulèrent, plus fantastiques souvent qu’historiques, et mêlant les plus excentriques aventures au plus criard bariolage de couleur locale : ce ne sont souvent que de noirs ou extravagants mélodrames, mis en forme narrative. Han d’Islande (1823) est le modèle du genre, où l’on peut classer aussi quelques-unes des œuvres de jeunesse de Balzac.

Mais entre les mains de quelques grands artistes, le genre s’éleva et des œuvres puissantes naquirent. Cinq-Mars (1826) a

  1. Cf. pp. 667-668.