Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/1008

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
986
l’époque romantique.

une apparence d’exacte vérité, dont la vibration oratoire du discours a doublé l’effet. On eut pendant quelque temps l’illusion que le théâtre français comptait deux ou trois chefs-d’œuvre de plus.

Un fait plus important se produisit : Rachel[1] débuta à la Comédie-Française ; et de 1838 à 1845, Camille, Pauline, Hermione, Monime, Esther, Bérénice, Roxane, Phèdre, Athalie reparurent. C’était la tragédie qui ressuscitait, mais la vraie tragédie, la vivante, l’humaine, celle de Corneille et celle surtout de Racine, il suffit que Rachel montrât dans toute la violence de leurs passions les « raisonnables » héroïnes du théâtre classique, pour rabattre l’extravagante excentricité du drame romantique.

Mais le romantisme avait nettoyé la scène : unités, conventions, style, il avait tout bousculé. Rien ne devait plus faire obstacle au poète qui aurait quelque chose à dire sur l’homme, et qui saurait le dire par les moyens spéciaux du drame. Mais, si tout était démoli, rien, n’était fondé. La tragédie était impossible. Le drame historique ne vivait pas. Le drame de passion rejetait le vêtement littéraire, et s’en allait chercher les scènes populaires, où le public n’a pas besoin de style.

La place à prendre fut prise par la comédie ; le mouvement que nous avons observé au xviii dans l’apparition de la comédie larmoyante et du drame bourgeois, se reproduisit vers 1850, où l’on voit Augier et M. Dumas fils tirer de la comédie l’unique forme littéraire du drame sérieux qui ait été réellement vivante en ce siècle.


4. COMÉDIE ET VAUDEVILLE : SCRIBE.


Depuis la fin du xviii, la comédie se traîne : la gaieté de Beaumarchais est perdue, la profondeur de Molière se retrouve encore moins. La comédie, quand elle ne reste pas un exercice littéraire, aimable et puéril, dans le style des Épitres de Boileau plus ou moins mouillé de sentimentalité, tourne au vaudeville, et cherche à forcer l’intérêt ou le rire par l’ajustement d’une intrigue curieuse ou par la cocasserie des mots, des types et des situations.

Sous le premier empire, le grand homme du genre est Picard[2] qui dessine avec quelque verve d’assez grossières caricatures de caractères sans portée : comme ce tâtillon qu’il a nommé Monsieur Musard (1803). Lorsqu’il veut peindre les mœurs, et faire la satire

  1. Élisa-Rachel Félix (1820-1858). Elle quitta la Comédie-Française en 1855.
  2. L.-B. Picard (1769-1828) : Médiocre et rampant (1797) ; le Collatéral ou la Diligence à Joigny (1799) ; Duhautcours ou le Contrat d’Union (1801) ; les Marionnettes (1806) ; la Vieille Tante (1806). — Édition : Théâtre, 1821, 8 vol. in-8.