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le théâtre romantique.


3. LES RÉSULTATS DU ROMANTISME AU THÉÂTRE.


Les romantiques n’ont pas réussi peut-être à faire vivre leur drame : ils ont réussi du moins à empêcher la tragédie de vivre. Ils ont dégoûté le public du « palais à volonté » où s’enferme une action abstraite, où des tirades pompeuses tombent lourdement de la bouche de personnages qui, en dépit de leurs noms, ne sont ni d’aucun temps ni d’aucun pays. Il faut désormais du spectacle, de l’action extérieure, du pittoresque, des détails locaux et individuels : il n’y a plus de succès que par l’emploi plus ou moins large des moyens romantiques.

C’est ce que nous montre Casimir Delavigne[1], que, dans vingt ou trente ans, il sera sans doute permis de ne plus nommer dans une histoire comme celle-ci. Après avoir suivi docilement la tradition dans les Vêpres Siciliennes (1819), il habille d’oripeaux romantiques la maigreur de la tragédie pseudo-classique ; et par ses drames vides de psychologie, d’une sentimentalité fausse ou banale, d’un pittoresque criard et plaqué, par son Marino Faliero (1829), son Louis XI (1832), ses Enfants d’Edouard (1833), il escamote d’assez bruyants succès. Il se donne parfois le mérite de la vigueur par des brutalités gratuites ou forcées[2]. Il fait aimer Hugo, qui n’est pas sensiblement moins humain, et qui du moins est poète : le style de Delavigne est cruel, là surtout où il fait effort pour teindre son vers de poésie. Toute la vogue de ce dramaturge est venue de son prosaïsme renforcé : les spectateurs réfractaires à la fougue lyrique des pièces romantiques se sont retrouvés dans sa platitude, qui leur a paru la raison même.

J’en pourrais presque dire autant de Ponsard[3], dont le succès sembla donner le coup mortel au théâtre de la nouvelle école. La même année 1843 a vu les Burgraves tomber et Lucrèce aller aux nues. Mais ensuite Ponsard revient aux sujets modernes : il tire de l’histoire les scènes saisissantes de Charlotte Corday (1850) et du Lion amoureux (1866). Encore ici, point de psychologie, point de poésie ; et dans l’intrigue, de méchantes inventions sentimentales ou romanesques. Mais le style est solide dans son prosaïsme, la pensée concentrée, ramassée en couplets vigoureux, en vers d’une belle venue. L’absence d’imagination a laissé aux scènes historiques

  1. C. Delavigne (1793-1843), né au Havre, fit des odes classiques qu’il réunit sous le nom de Messéniennes (1818-1819). — Édition : 4 vol. in-18, 1870, Paris, Didot.
  2. Une famille au temps de Luther, 1836.
  3. F. Ponsard (1814-1867), né à Vienne (Isère). — Édition : 3 vol. in-8, C. Lévy. — À consulter : C. Latreille, La fin du théâtre romantique et François Ponsard, 1899.