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LES ÉCRITS THÉORIQUES DE CORNEILLE.

d’Aubignac sur la Pratique du théâtre, qu’il se décidait à écrire ses trois discours sur l’art dramatique et les examens de ses tragédies[1].

Ces écrits théoriques de Corneille sont en assez mauvaise réputation dans le public. On se figure romantiquement ce pauvre grand homme se débattant sous le poids d’Aristote, mettant son génie à la gêne pour l’ajuster à la mesure des règles, ayant peine à obtenir la liberté de faire des chefs-d’œuvre, et rapetissé malgré tous ses efforts, gardant inexprimée une bonne partie de sa puissance, qui se serait épanouie à l’aise dans l’atmosphère à d’Hamlet ou d’Hernani. La vérité est tout autre. Docile aux indications du public, très défiant de la critique, Corneille a fait ce qu’il a voulu. Il s’est justifié de son mieux, mais il a été au fond indépendant. Il a su trouver dans la Poétique d’Aristote et dans les règles ce qu’il lui importait d’y trouver, et il a peut-être inventé plus de règles qu’il n’en a subies.

L’air pénible et contraint de son exposition, ce procédé minutieux et subtil, qui oblige à se souvenir que ce grand poète est un avocat normand, résultent tout simplement de ce que, pour exposer les principes de son art, il a pris la méthode traditionnelle que le moyen âge avait transmise aux temps modernes, la vieille méthode des théologiens et des juristes : la voie du commentaire et de l’interprétation d’un texte

  1. Ainsi l’œuvre fut faite, du moins les chefs-d’œuvre, avant la théorie. Cela met une différence entre Corneille et Victor Hugo. La théorie est la justification de l’œuvre. C’est précisément pour cela qu’elle l’explique bien, et que nous devons l’étudier avant.