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LES COMÉDIES DE CORNEILLE.

l’art, la vérité. C’était l’effet de ce « sens commun » qui était alors toute sa science.

Dans les comédies de Corneille vit le grand monde du temps de Louis XIII. Ses originaux sont les précieux, et c’est pour cela que le dialogue est précieux : il l’est naïvement, parce que c’est vrai. Ses cavaliers sont de grands seigneurs, qu’accompagne un écuyer ; ses amoureuses, de nobles dames, qui ont non pas des soubrettes, mais des demoiselles de compagnie, comme pouvait être Mlle de Chalais auprès de Mme de Sablé. Ces honnêtes gens traitent l’amour comme on faisait dans les ruelles ; et c’est pour cela qu’un reflet de l’Astrée éclaire leurs propos : c’est dans la vie que Corneille l’a saisi.

Il y a un peu d’incertitude dans Mélite ; c’était son coup d’essai. Il a forcé la note à la fin dans l’invention de la folie d’Éraste, qui croit sa maîtresse morte. Ailleurs il est resté dans la mesure. L’amour est sincère, sans romanesque ; il ouvre les yeux aux raisons positives, il ne méprise ni la qualité ni la richesse ; parfois il n’y cède pas ; parfois, lorsqu’il n’est pas encore fixé, il va où ils l’inclinent. Les hommes sont plus vrais, plus vivants que les femmes. Celles-ci sont tirées sur deux modèles uniformes ; il y a la tendre, rêveuse et constante, que désespère un soupçon de l’infidélité de l’amant ; il y a l’enjouée, indifférente et coquette, qui remplace un amant comme un ruban, le rire aux lèvres.

La figure la plus marquée, c’est la « suivante », la fille noble et pauvre, qui dispute à son illustre maîtresse ses amants, et voudrait bien se faire épouser d’un gentilhomme de belle mine. C’est une scène