Page:Lanson - Corneille, 1922.djvu/152

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
148
CORNEILLE.

pliqué en son dessin, ce n’est pas une question de forme, c’est une question de fond.

On a donc le droit d’étudier ensemble ces œuvres qui s’espacent sur plus de quarante années. En modifiant quelques particularités de vocabulaire ou de syntaxe selon le nouvel usage, Corneille n’a point altéré la physionomie caractéristique de son style, qui, de Mélite à Suréna, tout en se pliant aux sujets les plus divers, garde sa frappante identité.

Il faudrait plus de place que je n’en ai ici pour analyser les éléments qui concourent à former notre impression du style de Corneille. On verrait d’abord qu’il est tout près de Malherbe, et le plus ancien de nos grands écrivains, que sa forme est plus archaïque que celle de Molière, de Bossuet, de Pascal, qu’il parle cette langue du temps de Louis XIII, un peu lourde encore, et pourtant raffinée, forte, drue, familière, nerveuse, tour à tour très large et très brusque, solidement articulée, oratoire et pratique, plutôt que poétique et sensible. L’abondance des substantifs en ment, des substantifs et adjectifs en eur, des verbes composés avec entre ou re, la liberté dans l’usage des auxiliaires et des prénoms, le large et souple emploi des prépositions, le mélange aisé des expressions ornées de la tradition littéraire et des locutions familières de la vie quotidienne, lui donnent sa physionomie. Corneille en a connu toute l’étendue, reprenant des mots déjà à demi perdus, offenseur, invaincu, déceptif, exorable, adoptant ou créant des mots inusités, dextérité, impénétrable, évitable, alfanges, plaçant en vedette des locutions vulgaires, qui donnent la brusque sensation de la réa-