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LA CRITIQUE DE BOILEAU.

victimes, après tout, n’a pu trouver pour désigner leur groupe que ce nom, plus sanglant que toutes les railleries du satirique : les Grotesques.

La meilleure et peut-être la seule apologie de quelques-uns des auteurs ridiculisés par Despréaux, c’est de dire que sans eux il n’eût pas accompli l’œuvre qu’il a faite contre eux. Il fut à coup sûr un révolutionnaire en son temps ; mais les révolutions ne sont-elles pas toujours des secousses qui précipitent une évolution contrariée ? La littérature était mûre pour l’art classique, quand Boileau parut ; mais ceux même qui retardaient le mouvement étaient ceux par qui ce mouvement s’était transmis jusqu’à lui. Du jour où Boileau marqua le but, ils furent coupables de tâtonner et de dévier ; comme il avait trouvé, ils étaient ridicules de chercher encore. Il y avait plus d’un siècle que se préparait là forme littéraire dont il devait fixer le caractère, et sa doctrine était le terme où l’on devait nécessairement aboutir, lorsque les belles œuvres de l’antiquité païenne eurent éveillé le goût français, et lorsqu’en même temps leur sagesse toute naturelle et toute humaine eut inspiré à la raison moderne la hardiesse de marcher en liberté selon ses lois intimes. L’évolution fut achevée, quand, aux environs de 1660, dans le jugement ou dans l’instinct de quelques grands écrivains et de leur public, la conciliation fut faite entre l’admiration des anciens, maîtres de l’art et guides du goût, et l’indépendance de la raison, plus confiante chaque jour en ses